Au moment d’aborder la dernière saison de Succession, le comédien souligne tout ce qu’il doit à son personnage de patriarche milliardaire autoritaire et évoque ses futurs projets.
L’ironie est plutôt mordante. Son rôle de Logan Roy a fait de lui un des personnages les plus détestés de l’histoire de la télévision américaine, sorte de prototype en acier trempé d’un patriarche vengeur. Mais sur le tapis violet du Festival Séries Mania, l’acteur Brian Cox, plein de sollicitude, a aidé sa femme, Nicole Ansari d’origine iranienne à déployer son châle où étaient brodés les mots Femmes, vie, liberté, célèbre slogan des manifestations à Téhéran et partout ailleurs à travers le pays.
Un côté activiste et attaché à ses racines qu’admire et partage le comédien d’origine écossaise, âgé de 76 ans. “Elle a été une des premières à se mobiliser et à se couper les cheveux en signe de protestation, souligne l’acteur. Nous vivons une période très délicate et dangereuse sur le plan du droit des femmes, en Iran mais aussi en Afghanistan. Et c’est totalement inacceptable. En Iran, les jeunes filles peuvent aller à l’université, mais c’est de l’hypocrisie car elles peinent ensuite à être reconnues dans le monde du travail. Une preuve supplémentaire que le patriarcat a failli misérablement et qu’il est temps de passer au matriarcat ! Je suis sérieux en disant cela. Il est temps que les hommes fassent un pas de côté et aillent se faire f… (comme le dit sans cesse son personnage de Logan dans la série, NdlR) pour laisser la place aux femmes dans les affaires qui concernent la société. Pour beaucoup d’hommes, ce serait vraiment un soulagement de ne plus devoir prendre soin des autres puisque de toute façon, ils n’y arrivent pas. C’est la raison pour laquelle je suis si fier de ma femme qui est une personne forte et m’a beaucoup appris. Je lui en suis très reconnaissant.”
Jouer « un vieux dinosaure blanc »
Cette attention au monde tel qu’il va a poussé l’acteur à réaliser deux documentaires dont l’un intitulé How the other half live (disponible sur AppleTV) évoquant “le fossé toujours plus grand entre les riches et les pauvres de cette planète. Après la mort de mon père, nous sommes devenus très pauvres et je suis parfois allé demander les invendus du Fish&Chips du coin pour que nous puissions manger, confie-t-il. Je suis un socialiste convaincu. C’est très ironique pour moi de jouer l’un des hommes les plus riches du monde. C’est la raison pour laquelle je pense que la série Succesion est un conte moral, un récit édifiant.”
La série constitue aussi “l’une des plus enrichissantes expériences” de sa carrière. “En plus, nous avons rencontré un immense succès, nous avons été bien récompensés. C’est pourquoi j’ai une telle admiration pour Jesse Armstrong qui sait qu’il y a toujours une limitation à ce que vous faites. Tant de séries aux États-Unis dépassent la date de péremption mais Jesse (Armstrong, le créateur de la série, NdlR) était résolu à ne pas le faire. HBO aurait voulu prolonger encore la série comme ils l’ont fait avec Game of Thrones mais heureusement, ce ne sera pas le cas. Je me voyais mal continuer à dire à tout le monde d’aller se faire f… pendant les dix prochaines années.” Il éclate de rire.
”Cela a été un cadeau formidable de travailler avec cette équipe surtout à une période de la vie où je me disais justement que j’allais prendre les choses calmement et avec plus de recul. J’aimais beaucoup mon anonymat dans la rue, mais aujourd’hui…” L’acteur a un geste de dépit.
”Jouer ce vieux dinosaure blanc est très libérateur”, reconnaît l’acteur qui s’amuse de voir les gens lui demander de les insulter en pleine rue. Sans rien spoiler de la dernière saison dont la diffusion vient de débuter, le comédien assure, avec un petit air énigmatique que “Logan reçoit exactement ce qu’il mérite et ce dont il a besoin dans cette quatrième saison… C’est ce qui est formidable dans cette série : Logan obtient la paix.”
« Ce sera sans doute difficile pour certains de voir partir mon personnage »
”Cela n’a pas été difficile de le quitter”, assure le comédien. Cela fait soixante ans que je fais ce métier et Logan a été clairement un de mes rôles préférés, mais dès la dernière scène, c’est fini. Il reste dans mon esprit, mais je vais à la rencontre de nouveaux textes, de nouveaux projets. Je vais enfin pouvoir retourner au théâtre, pour jouer Jean-Sébastien Bach, notamment, je suis très heureux de vivre cela. Et je croise les doigts car je vais diriger mon premier film en tant que réalisateur en Écosse, en juin prochain. L’histoire d’une distillerie familiale vue à travers la vie de deux frères. Je vais jouer le plus effacé et le moins talentueux des deux frères.” Il sourit.
”Je crois en la pratique. Pour les hommes, beaucoup de rôles intéressants arrivent à partir de 55 ans, des rôles qui reflètent la vie de façon saisissante. J’ai l’impression d’apprendre sans cesse. Logan Roy est un rôle formidable, ne vous méprenez pas sur ce que je dis, mais même si je suis très reconnaissant, ce n’est qu’un arrêt sur ma route, ce n’est pas la destination finale. J’ai encore beaucoup d’autres projets, dont un film à Auckland, à tourner plus tard dans l’année. Peut-être ces rôles-là ne seront-ils pas aussi bons que cette série, ce sera sans doute difficile pour certains de voir partir mon personnage et je vais sans doute devoir travailler beaucoup pour rappeler aux gens que je suis un acteur et que je joue un rôle…” concède-t-il.
Brian Cox souhaite apprendre le métier de réalisateur
”Je ne crois pas en Dieu, mais je crois en la vie. Et le rôle de Logan – que j’ai aimé à chaque minute où je l’ai endossé – arrive à son terme, comme tout le reste dans la vie. Je suis impatient de découvrir le prochain chapitre. C’est la raison pour laquelle je retourne au théâtre pour voir si je suis encore capable de me souvenir de longs textes. (Il sourit) Il faut continuer à se mettre au défi et à vivre l’instant présent. Vous ne pouvez vivre de vos anciennes gloires. Il serait terrible de continuer à vivre dans la peau de Logan pendant dix ans.”
”Si je ne réalise pas mon premier film maintenant, plus tard, je serai trop gaga. Je n’aime pas tellement les réalisateurs, même si on en a eu plusieurs très bons sur Succession, il faut le reconnaître. J’ai envie de découvrir si je me suis trompé à leur sujet et si je suis aussi mauvais qu’ils le sont”, conclut le comédien en riant.
Rencontre: Karin Tshidimba, à Lille
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