L’un a vécu les événements presque en direct, lorsqu’il était étudiant en droit, l’autre n’était pas né mais est un réalisateur passionné par les destins singuliers qui dérapent. Ensemble, Willem Wallyn, scénariste et Wouter Bouvijn, réalisateur, ont imaginé comment retracer le terrible déroulé de l’affaire qui a marqué tout un pays. La série 1985*** à voir le dimanche soir sur La Une et la VRT.

« J’ai vécu cette affaire presque en direct, confie le scénariste Willem Wallyn. Quand elle a commencé, j’avais 20 ans et j’étais étudiant à la VUB, donc en face de la caserne de la gendarmerie à Ixelles. On suivait l’affaire dans la presse. Je me souviens que beaucoup de journalistes flamands et francophones, à l’époque, faisaient même l’enquête à la place des enquêteurs, de façon très impressionnante. On se documentait, on en parlait entre nous, on sentait un danger subversif derrière tout cela. Il y avait énormément de polarisation dans la société entre la gauche et la droite, comme aujourd’hui d’ailleurs.”

Devenu juriste, Willem Wallyn travaille en tant qu’avocat stagiaire pour Luc Van den Bossche, “le parlementaire qui a lancé l’idée de faire une commission sur les Tueries. J’étais dans le bureau qui a préparé le dossier de cette commission. Luc Van den Bossche n’a pu la présider parce qu’il est justement devenu ministre à l’époque, mais j’en ai suivi les travaux et aussi les procès Bouhouche et Beyer parce que j’étais intéressé par cette affaire à la croisée de la politique et de la justice. Je ne suis ni spécialiste ni obsédé par cette affaire, précise-t-il. Je n’ai pas une bibliothèque pleine de livres sur le sujet, je ne m’intéresse pas aux théories qui pullulent sur internet. C’est juste que c’est une partie de notre Histoire.”

 

Revisiter un traumatisme de l’Histoire belge

Quand Peter Bouckaert, producteur avec lequel il n’avait jamais collaboré auparavant, le contacte, Willem Wallyn (All of Us, De 16) est tout de suite enthousiaste.
”Je considère que ce qui s’est passé dans les années 80, si je peux faire une analogie, c’est un peu notre Vietnam. Et j’étais étonné qu’il n’y ait pas eu de film sur le sujet pour gérer ce traumatisme. On le constate encore aujourd’hui dès qu’on en parle dans la presse, cela fait la Une. Cela m’étonnait que cela ne se reflète pas dans notre culture, alors qu’il y a eu plein de films sur le Vietnam aux États-Unis. J’étais très enthousiaste d’y participer.”

De son côté, le réalisateur Wouter Bouvijn ne connaissait l’affaire que de nom. “Je ne savais que ce que tout le monde sait. Lorsque j’ai lu le scénario, il y a trois ans, ce qui m’intéressait, c’était la possibilité de vivre cette affaire à travers trois jeunes gens fraîchement arrivés à Bruxelles, originaires du Plattenland. J’étais aussi étonné de ne trouver aucun film sur le sujet. Je trouvais intéressantes les questions que cela posait par rapport à la fragilité de notre démocratie.”

”Cette affaire a cristallisé la perte d’innocence de tout un pays, reprend le scénariste Willem Wallyn. Je cherchais des porte-parole de ce sentiment partagé. L’idée était de passer à travers ces trois personnages – trois jeunes aussi inconscients que le public – pour la symboliser. Le fait qu’ils arrivaient à Bruxelles était important pour qu’ils découvrent en même temps que le spectateur ce monde particulier qu’ils ne connaissaient pas : la capitale, l’université, la gendarmerie, le monde politique,… Wouter n’était pas né à l’époque, c’était donc la meilleure personne pour développer ces personnages parce qu’il se posait les mêmes questions qu’eux. À travers les yeux des personnages et de Wouter, le public d’aujourd’hui et même un public plus jeune peut être intrigué par tout ce qui s’est passé, qui est à la fois historique et très émotionnel.”

Regards croisés sur un drame

Scénariste et réalisateur portent deux regards complémentaires sur cette affaire.
”Willem connaissait très bien ce dossier, cela a été précieux aussi bien pendant le tournage que pendant le montage. Ce qui m’intéressait, c’était l’évolution psychologique des personnages. D’où on partait et où on arrivait. Cela a été notre ligne directrice au sein des nombreux événements à raconter parce que c’est un dossier volumineux et complexe avec beaucoup d’intervenants et de faits. Nous avons choisi de nous concentrer sur ce qui impactait directement nos personnages : Marc, Frank et Vicky, mais aussi les gendarmes Vernaillen et Bouhouche, afin de donner un éclairage sur les deux camps : d’un côté, les victimes et de l’autre, les “responsables”.”

Originaire du Plattenland, comme les trois personnages principaux, Wouter Bouvijn pouvait facilement s’identifier à ce sentiment de perte d’innocence à leur arrivée à Bruxelles. “Je me souviens de mon propre ressenti. Nous avons joué avec la géographie des lieux : le campus de la VUB et les bâtiments de la caserne de la gendarmerie seulement séparés par le boulevard Général Jacques. Deux mondes proches, en termes d’implantation, mais très éloignés dans les faits. L’idée était de franchir, de briser ces murs et d’aller voir ce qui se passait de l’autre côté.”

La collaboration entre les deux hommes a été continue. “J’ai été impliqué à tous les niveaux : lectures avec les acteurs, présence sur le tournage, pendant le montage,… explique Willem Wallyn. Il y avait cette attention constante de Wouter pour que l’histoire soit bien racontée, en restant concentrée sur les personnages et pas sur l’action. C’était une joie de pouvoir assister aux lectures avec les acteurs. En tant que scénariste, c’est là que la série commence à exister et que l’on voit ce qui va fonctionner ou pas. Ils avaient aussi des questions sur les personnages et le déroulé des événements auxquelles j’ai pu répondre. Jusqu’au bout, même durant le montage, on a retravaillé les scènes dans le souci que cette histoire soit compréhensible et ne soit pas un documentaire fictionnalisé. Je trouve que le résultat est très réussi”, souligne-t-il en souriant.

”On voulait que l’histoire soit vécue de l’intérieur et pas à distance. La production et moi nous faisions entièrement confiance à la vision de Wouter pour les choix artistiques. Par hasard, on a pu tourner dans mon kot de l’époque, resté tel quel, et qui est devenu celui du personnage de Vicky. Des gendarmes ont permis aussi de recréer les bureaux tels qu’ils étaient à l’époque. Pour la radio libre, en revanche, il a fallu la reconstituer parce qu’elle n’existait plus. Tous les choix visuels de la série étaient entièrement le domaine de Wouter.”

”J’ai beaucoup regardé des photos d’époque pour retrouver l’ambiance visuelle, explique l’intéressé. C’est un travail commun avec les chefs décor, chef photo, et d’autres proches collaborateurs. Le casting a été une très longue étape aussi, on a rencontré de très nombreux jeunes acteurs, c’était mon souci principal.”

Un grand intérêt en Belgique et au-delà

La série a déjà été présentée dans trois festivals belges – à Gand, Liège et Bruxelles – et les réactions du public étaient assez semblables, notent-ils. “Mais ce qui m’a le plus étonné, c’était la réaction du public français et des journalistes lors du Festival CanneSeries où a eu lieu la toute première présentation. La meilleure réponse a été de voir à quel point ils se sont rapidement connectés aux trois personnages alors qu’ils ne connaissaient absolument rien à cette affaire remontant aux années 80. Ils étaient très intéressés et avaient de nombreuses questions”, se souvient Wouter Bouvijn.

”J’ai des enfants flamands et des enfants francophones, ils ont vu la série, respectivement, en Wallonie et en Flandre. Ils étaient vraiment bouleversés, souligne Willem Wallyn. En principe, ils trouvent que ce que je fais n’est pas intéressant, mais là, ils voulaient vraiment savoir et comprendre. Et ils voulaient savoir si j’avais déjà d’autres épisodes disponibles dans mon ordi. (Rire) J’ai aussi des amis qui n’arrêtent pas de m’en parler. Des deux côtés de la frontière linguistique, on sent que cela touche vraiment les gens et la presse. Il y a un intérêt authentique.” Une nouvelle génération va sans doute découvrir cette histoire tragique, mais il y a aussi toute une génération qui reste marquée par cette affaire non encore élucidée.

”Wait and see”, conclut Willem Wallyn.

Entretien: Karin Tshidimba

mise à jour (30.01): l’épisode 2 diffusé dimanche 29 janvier sur Een a rassemblé 828.847 téléspectateurs en moyenne, soit 37,5% de PDM.

mise à jour (14.02): La série « 1985 » a terminé son parcours avec une moyenne de 21,6% de parts de marché et 237.049 téléspectateurs sur La Une. Elle comptabilise plus de 302.030 visions sur Auvio. Sur la VRT, la série enregistre 37,4% de PDM et 851.835 fidèles en moyenne…