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Pour sa saison 2, le thriller Maroni*** délaisse la Guyane et met le cap sur Sain-Pierre-et-Miquelon. Grâce à ses six épisodes, la série gagne à la fois en rythme et en profondeur et impose la singularité renouvelée de son enquête, entre polar et mysticisme. A voir sur Arte à 20h50 et sur arte.tv.

À peine remise de son enquête en Guyane, Chloé Bresson (Stéphane Caillard) est rappelée aux antipodes. Sa mère vient de mourir à Saint-Pierre-et-Miquelon et son frère, François (Axel Grandberger), vingt-deux ans en théorie mais sept dans sa tête, se retrouve seul au monde.

Pour l’inspectrice, dont le collègue Joseph Dialo (Adama Niane) est toujours porté disparu du côté de la source du fleuve Maroni, en Guyane française, ce voyage vers les origines tombe doublement au plus mauvais moment.

Confrontée à cette terre gelée qui l’a vue naître et aux réminiscences parfois douloureuses de son enfance, Chloé se raccroche aux souvenirs de son collègue-amant, à cette histoire interrompue tragiquement qui continue de l’habiter. Tout comme la disparition soudaine de sa mère hante le jeune François. Le frère et la sœur se reconnectent d’abord à travers la douleur de leur perte, commune et respective.

Peu de temps après le suicide inattendu de sa mère, une autre mort, tout aussi violente, vient secouer le quotidien des Saint-Pierrais. Et réveiller les réflexes d’enquêtrice de Chloé, déjà aiguisés par l’attitude hostile de la population à son égard et vis-à-vis de son jeune frère souffrant d’un retard mental.

Faire face aux Premières nations

Olivier Abbou (Territoires, Furie) aime se jouer des extrêmes. Après une saison 1 envoûtante (2018), mêlant orpailleurs et entrelacs forestiers, croyances vaudoues et violence juvénile aux confins de la Guyane française, la saison 2 de Maroni***  permet au réalisateur et scénariste d’explorer une autre frontière nettement plus septentrionale : Saint-Pierre-et-Miquelon et l’île canadienne de Terre-Neuve.

L’occasion de découvrir une terre enneigée et battue par les vents où les hommes, plus peut-être qu’ailleurs, se battent pour survivre. Après avoir pointé sa caméra sur les spécificités guyanaises, Olivier Abbou se penche sur les mœurs insulaires de « la Corse des neiges » et sur le destin tragique d’une jeune Amérindienne, dernière survivante de la culture ancestrale Béothuk.

Et même si l’on peut difficilement concevoir deux territoires plus éloignés sur les plans géographique et climatique, on ne peut que noter les points communs entre ces lieux de vie opposés : terres isolées, perspectives d’emploi limitées, populations laissées pour compte, jeunesse naufragée, alcoolisme et déficit culturel. De l’extrême chaleur au froid intense, on retrouve cette idée de « continent » à nul autre pareil où la connexion aux éléments se révèle tout aussi intense.

À l’instar de la jungle luxuriante, ce nouveau décor isolé et enneigé, à la luminosité entre chien et loup, favorise l’ambiance teintée de mysticisme de ce polar et la dimension symbolique de ce conte pour adultes qui dénonce les violences faites aux femmes.

Grâce au développement de l’intrigue sur six épisodes (au lieu de quatre pour la saison 1), la saison 2 de Maroni gagne à la fois en rythme et en profondeur. Elle prend aussi le temps de creuser le contexte sociologique de l’archipel au-delà des images d’Epinal. À la vie ingrate des pêcheurs de Saint-Pierre-et-Miquelon répondent les disparitions fréquentes enregistrées dans les réserves indiennes.

Des thématiques qui se répondent par-delà les océans

Sur la question de la place des femmes sous les latitudes extrêmes, on ne pourra d’ailleurs pas s’empêcher de faire le lien avec la trame de la série Top of the Lake de Jane Campion, ancrée dans un autre territoire du bout du monde : la Nouvelle-Zélande. Et ce n’est pas qu’une question de brouillard et d’atmosphère spectrale flottant sur ce thriller. D’un territoire à l’autre, il est intéressant d’observer que l’on retrouve d’autres « totems » mais les mêmes évocations d’esprits protecteurs, ancrés aux confins du globe.

Osant le fantastique pour matérialiser les âmes errantes et les traumas qui, parfois, nous hantent, Olivier Abbou, épaulé par les scénaristes Angelo Cianci, Camille Lugan et Jean-Charles Paugam, réussit un thriller à belle valeur humaine ajoutée, porté par l’actrice Stéphane Caillard d’une grande justesse.
À la direction artistique, on retrouve David Bersanetti déjà à l’œuvre lors de la saison 1, créée par Aurélien Molas.

Karin Tshidimba