Grand invité de la 4e édition du festival « Are You series ? » à Bozar, le scénariste Chris Brancato est arrivé ce mercredi à Bruxelles. Il parlera de son travail sur « Narcos » ce jeudi de 17h à 19h et il dirigera des ateliers professionnels avec des scénaristes belges, jeudi et vendredi.
Sa masterclass porte notamment sur sa dernière création, la série Narcos pour Netflix, mais a aussi pour but de comparer la façon de travailler en Europe et aux Etats-Unis où le showrunner occupe une position de scénariste et de producteur. Une fonction qui a « beaucoup d’impact sur la façon dont la série est imaginée et fabriquée » concrètement, rappelle Chris Brancato.
Aussi charmant que pédagogue, il est revenu avec nous sur la genèse de sa série tournée en Colombie (photo: Chris Brancato sur le tournage de Narcos avec les acteurs Pedro Pascal et Boyd Holbrook).
« Le producteur Eric Newman avait essayé de développer l’histoire de Pablo Escobar dans un film de deux heures, mais il s’est rendu compte que c’était impossible. Il est donc allé voir Netflix pour leur proposer d’en faire une série. Et José Padilha, réalisateur brésilien, a été choisi. Quand je suis arrivé, tous les arrangements étaient faits, j’ai accepté d’écrire la série et de la diriger avec Eric et José. C’était une situation inhabituelle, pour moi, d’être invité dans un projet vraiment attendu et de recevoir la liberté de le faire advenir » sans aucun frein, explique Chris Brancato, le plus simplement du monde.
Après s’être frotté aux univers de X-Files, New York, section criminelle (Law & Order: Criminal Intent) et Hannibal, le scénariste s’est donc envolé pour Medellín afin d’y entamer ses recherches: interview de l’ancien président colombien et rencontre de nombreux interlocuteurs au sein du gouvernement, de la police, des avocats. Il a aussi visionné de nombreuses heures de reportages d’actualité. « Ce qui m’a apporté un tas de petits détails précieux, comme le fait que les Colombiens surnomment les Etats-Unis Disneylandia » précise-t-il en riant.
Soigner la dramaturgie d’une série
« Je pensais qu’il était important qu’un Américain vienne en Colombie afin qu’il nous entraîne à sa suite, mais je ne voulais pas que ce soit vu comme s’il s’agissait d’un ‘gringo’ chargé de les sauver car ce sont les Colombiens qui ont géré l’affaire Escobar. » Le duo Colombien-Américain, campé à l’écran par les comédiens Pedro Pascal et Boyd Holbrook, est réel et a fait partie des nombreuses personnes rencontrées par Chris Brancato avant le tournage.
L’une des clés du succès de Narcos est sans conteste l’incarnation du baron de la drogue Pablo Escobar par l’acteur brésilien Wagner Moura. En plus de prendre 20kg pour le rôle, il s’est littéralement glissé dans la peau du baron colombien. « Wagner est arrivé à Medellin 5 mois avant le début du tournage et a suivi des cours intensifs d’espagnol à l’université. Les Colombiens détestent son accent mais il a fait l’effort que nous lui demandions. Et puis, c’est un acteur magnifique. »
« En tant que dramaturge, mon travail consiste à regarder le matériel dont je dispose, voir ce qu’il est crucial de raconter et utiliser quelques licences créatives afin de raconter au mieux mon histoire. En créant des dialogues, même si je n’étais pas dans la pièce pour les entendre, ou en injectant du drame à des moments où il n’y en avait peut-être pas. Dès le générique, on prévient le public qu’il s’agit d’une fiction basée sur la réalité. J’essaie de rester fidèle à l’esprit de l’époque et aussi aux événements historiques. » Ce qui explique la présence d’images et de photos d’archives dans la série Narcos.
Principe de réalité
Quant aux critiques émises sur la série en Colombie, Chris Brancato les considère comme faisant partie du « jeu ». « Je savais qu’il y aurait des détails de la vie d’Escobar qu’ils connaîtraient mieux que nous mais ma responsabilité était de faire une série qui puisse intéresser le plus grand nombre. Et leur responsabilité est de dire qu’ils n’aiment pas le résultat… Nous avons fait le choix de ne pas travailler avec la famille Escobar car nous pensions que c’était la meilleure façon de procéder. »
La série Narcos cherche à montrer « comment certaines décisions prises à Washington ont affecté la vie des personnes dans la jungle et dans les rues en Colombie, et vice-versa. Mais aussi le côté sombre, violent et cruel de ce que certains ont tendance à envisager seulement sous l’angle de la fête. Certains parlent de la cocaïne comme d’une drogue récréative mais il importe de savoir le nombre de vies détruites qui se cachent derrière ce produit ».
« La Colombie est un pays magnifique à visiter et bien moins violent qu’il ne l’était avant, poursuit Chris Brancato. Ils ont fait un bon boulot pour rendre le pays plus sûr et c’était l’une des choses que le président Santos a exprimé lorsqu’il nous a rencontrés : « vous pouvez faire votre série ici, mais il faut que vous montriez que la situation est bien meilleure aujourd’hui. »«
Plateau bilingue et grande liberté
Tourner dans deux langues, dans un pays étranger, avec la « team » de scénaristes sur un autre fuseau horaire : les défis n’ont pas manqué dans l’aventure Narcos.
« La difficulté tenait au mélange des langues et aussi au fait que l’équipe colombienne avec laquelle nous avons travaillé n’avait pas l’habitude de développer des shows de cette ampleur. Sans oublier le mélange de nationalités (de toute l’Amérique latine, NdlR) sur le plateau. Les auteurs étaient à Los Angeles et je devais combler les retards de production puisque j’étais avec l’équipe au quotidien. Je devais réécrire les scènes qui avaient pris du retard ou ne convenaient pas. C’était un travail de titan pendant un an ».
« J’aime la partie qui concerne la recherche », précise Chris Brancato. « Où on découvre toutes ces histoires extraordinaires qui m’intéressent tellement que je sais qu’elles vont plaire aux téléspectateurs. Et aussi la partie d’écriture mais je déteste le moment où il faut établir la structure de la série, le découpage en épisodes, c’est un processus très mathématique et je déteste ça. C’est une torture, un casse-tête. Et puis, lorsqu’il faut réécrire à la fin, c’est très dur aussi car vous êtes épuisé. »
Son meilleur souvenir reste « l’ouverture de Netflix à toutes nos suggestions. José Padilha voulait des photos d’archives, je voulais que 30 à 50 % de la narration soient en espagnol et on l’a eu. Et puis, il n’y a pas de coupures de publicité, donc on peut dire et faire ce qu’on veut… »
« Je suis un fan de séries criminelles, reconnaît Chris Brancato, je les regarde religieusement. Je suis fasciné par ces gens qui vivent sans remords de recourir à la violence ou d’enfreindre la loi. Le niveau d’intrigue est forcément élevé car les enjeux sont la vie et la mort. »
« J’ai beaucoup appris sur le processus créatif durant ma collaboration avec Bryan Fuller sur la série Hannibal. J’ai appris à quel point il importe – lorsque vous avez une vision concernant un film ou une série – que les personnes qui vous entourent, collaborent au mieux pour vous aider à porter cette vision vers le public. Narcos va aborder un cap intéressant avec ces saisons 3 et 4 si différentes des saisons 1 et 2… »
On le sait, Chris Brancato ne va pas poursuivre l’aventure Narcos au-delà de la saison 2. Les saisons 3 et 4, déjà commandées par Netflix et toujours placées sous la responsabilité d’Eric Newman, aborderont d’autres narcotrafiquants colombiens comme le cartel de Cali ou les Farc, avant d’aborder le Mexique. Des développements qui vont peut-être entrer en compétition avec l’un des nouveaux projets développés par Chris Brancato. Ses futures séries, pour 2018, sont #cartel sur le destin d’El Chapo au Mexique et le « United States Marshall Service » (titre de travail) pour la chaîne CBS.
Entretien: Karin Tshidimba
nb: suivez le lien bleu pour retrouver le programme complet du Festival Are You Series?
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