Comment les 138 épisodes de 25 minutes d’une série en noir et blanc, diffusée de 1959 à 1964, restent-ils considérés 60 ans plus tard parmi les meilleurs de tous les temps ? Le fait que la télévision défriche alors de nouveaux territoires ne suffit pas à expliquer le statut d’exception de « La Quatrième dimension ». Alain Lorfèvre nous propose ce parcours guidé en attendant la nouvelle version 2019 de la série imaginée par Rod Serling.

Qualité de production et d’écriture

Lorsqu’il conçoit The Twilight Zone, Rod Serling est déjà un producteur en vue, alors que la télévision est encore un média jeune. Fort de son expérience, il devient le premier véritable showrunner de l’histoire de la télévision, garantissant à la série sa cohérence, bien que tous les épisodes soient indépendants et sans lien les uns avec les autres. Cette homogénéité est renforcée par son obligation contractuelle d’écrire 80 % des épisodes (il en signera 92 sur les 156 produits). Les autres épisodes seront principalement écrits par Richard Matheson et Charles Beaumont.

Alors trentenaire, Matheson, futur maître de la littérature de science-fiction, a déjà publié à l’époque deux de ses plus célèbres romans fantastiques : Je suis une légende (I Am Legend, 1954) et L’Homme qui rétrécit (The Shrinking Man, 1956). D’autres écrivains comme Ray Bradbury, Lawrence O’Donnell et C. H. Liddell (sous le pseudonyme commun de Lewis Padgett) y participeront également.

« Time Enough at Last »: Saison 1 – Ep. 8 (1959)

Une série engagée et novatrice

Aux sources de Twilight Zone, il y a un crime raciste, qui a scandalisé Rod Serling : le lynchage d’un adolescent afro-américain, Emmett Till. Serling a écrit et produit un épisode d’une autre série traitant d’un crime raciste, afin de sensibiliser l’opinion. Les réactions négatives l’ont amené à envisager le fantastique et la science-fiction comme un moyen détourné de critiquer la guerre, l’exclusion, le racisme, les injustices – en inversant, par le biais du fantastique, les paradigmes du monde réel et la normalité. En pleine guerre froide et début de la conquête spatiale, certains scénarios apocalyptiques ont marqué les esprits. Pour atténuer leur noirceur ou leur nihilsme, Serling fit de l’humour noir et de l’ironie des marques de la série.

« The Eye of the Beholder »: Saison 2 – Ep. 2 (1960)

Une série minimaliste

Le cinéma de genre, comme les séries, ont souvent su faire du manque de moyens une force. The Twilight Zone ne fait pas exception : unité de temps et de lieu, nombre d’acteurs limité (le maximum, en un épisode, fut de quinze). L’impact résidait dans l’écriture, le non-dit, le caché. Les décors dépouillés – souvent recyclés du cinéma – ajoutaient aux ambiances mystérieuses ou angoissantes, inspirant parfois les scénarios : Rod Sterling écrivit un épisode se déroulant dans un avion en découvrant une maquette d’un Boeing, à l’échelle, acquise par le studio.

« Nightmare at 20 000 Feet »: Saison 5 – Ep. 3 (1963)

Des génériques impressionnants

Serling eut le flair d’engager des talents émergeants. Les jeunes comédiens Charles Bronson, Robert Duvall, Dennis Hopper, Burt Reynolds ou Robert Redford y font leurs armes avant le cinéma, Peter Falk (Columbo), Ron Howard (Les jours heureux, puis réalisateur), Martin Landau (Mission Impossible), et un tiers du futur équipage de Star Trek Leonard Nimoy, William Shatner, George Takei débutent aussi. Quelques vétérans font des apparitions : Buster Keaton, Ida Lupino (la seule femme à réaliser un épisode de la série), Agnes Moorehead ou Mickey Rooney. Les réalisateurs Richard Donner (Superman), Don Siegel (Inspecteur Harry) ou Ted Post (Magnum Force) contribuent à la cinquième saison.

« To Serve Man »: Saison 3 – Ep. 24 (1962)

Quatrième ou cinquième dimension ?

Dans l’accroche originale, en anglais, la Twilight Zone est qualifiée de fifth dimension, littéralement « cinquième dimension » – et non « quatrième », qui désigne uniquement le temps. Or, dans le concept de la série, la Twilight Zone, littéralement Zone Crépusculaire, recouvre un concept plus large. L’expression est utilisée par l’U.S. Air Force pour désigner le cas où un pilote est incapable de distinguer la ligne d’horizon – soit un moment de confusion des repères.

Alain Lorfèvre