Le créateur de « Baron Noir » revient avec un thriller psychologique dénonçant la fabrique de l’opinion et les dérapages des réseaux sociaux dans la société française. Détonant. Six épisodes à voir dès ce 17 mai sur Be tv

Il a suffi d’un coup de tête et d’une insulte pour que la situation dégénère et que la foule s’embrase. A cette soirée où sont célébrés les Trophées du foot, le coup de boule de Fodé Thiam (Alassane Diong) à son entraîneur réactive la bataille identitaire, libérant toutes les indignations et les slogans. Star du Racing club et membre de l’équipe de France, le footballeur est sommé de montrer l’exemple. Ses détracteurs réclament une sanction immédiate. Pour gérer la crise et sauver la réputation du club, son président François Marens (Benjamin Biolay) fait appel à l’agence Kairos, spécialiste de la gestion de crise.

La Fièvre****, nouvelle création d’Eric Benzekri (Baron Noir), retrace l’histoire d’un dérapage, d’un embrasement soigneusement organisé, d’un braiser nourri à coups de phrases assassines et de déclarations péremptoires. La série inscrit en face à face deux communicantes reines: Samuelle Berger (Nina Meurisse), pleine d’idéaux et passionnée, fragile aussi. Et Marie Kinsky (Ana Girardot), influenceuse et stand-uppeuse extrémiste, trop heureuse de pointer «le 11/09 du vivre ensemble», la faillite de la fameuse France « Black, Blanc Beur » et d’instrumentaliser l’évènement pour atteindre ses fins.

La montée des dissensions

Si certains ne voient dans cet incident qu’une histoire de foot, aux yeux de Marie, il s’agit « d’une bombe à fragmentation avec plusieurs foyers potentiels de détonation simultanés sur toute la ligne de fracture majeure de la société française. » En clair, dans cette affaire, chacun trouve des échos à des situations qu’il juge inquiétantes ou insupportables. Et l’affaire Fodé devient le nouveau champ de bataille de la guerre identitaire en France. A l’instigation de Marie Kinsky (Ana Girdot), l’engrenage de la polarisation est en marche. Sa recette : simplismes et provocation, un cocktail littéralement détonant.

Toute la panoplie du débat sociétal passionnel et enflammé se déploie: vidéos virales, clashs, buzz et sondages. Avec un risque à la clé: la fracture irrémédiable de la société et la guerre civile. Les craintes de Sam, qui semblent nettement exagérées dans les premières minutes suivant l’incident, se révèlent ensuite pas si improbables…

Xavier Robic (Tristan Javier), Benjamin Biolay (Francois Marens), Nina Meurisse (Sam Berger) et Jade Henot de l’agence Kairos, au chevet du Racing Club de Paris dans la série « La Fièvre » d’Eric Benzekri.

Redoutable. La série d’Eric Benzekri se nourrit et se joue du trouble entre cauchemar et prémonition, réel et fiction. Ce faisant, elle dissèque avec talent les hystéries collectives et la fabrique de l’opinion, en observant notamment à quel point les réseaux sociaux la façonnent et gangrènent le débat.

Démonstration implacable

Au cœur de cette bataille, deux personnalités se font face. Deux intelligences fines, deux visions de la société. La première (Sam) perçoit tous les signes d’une situation explosive et délétère, un basculement qui pourrait entraîner même les plus pacifistes à sa suite. La seconde (Marie), cynique et sans scrupule, lancée dans une quête de notoriété, parie sur l’exploitation de la panique identitaire, l’instrumentalisation d’une figure sociétale et d’une cause pour mieux conquérir le pouvoir au risque de fracturer la société. L’histoire est donc celle d’une lente montée en puissance et d’un affrontement. L’empathie et la finesse de l’analyse psychologique comme seules armes face au cynisme et aux calculs politiques. La Fièvre, produite par Canal+, permet de décrypter comment les extrêmes instrumentalisent les peurs qui irriguent nos sociétés.

La série a marqué les esprits en France et suscité les commentaires à foison. En mettant en évidence les tensions politiques et communautaires, les réflexes individualiste et radicaux, elle aborde sans détour tous les périls qui menacent une société démocratique: clivages identitaires et sociaux, insécurité, violence, racisme systémique,…

La France face à ses fractures

Son point fort réside dans sa façon d’analyser les stratégies des deux camps et d’imaginer les débats toxiques qui, rapidement, en découlent. Jusqu’au point d’ébullition ultime. Jugée catastrophiste par certains, La Fièvre démontre pourtant avec une grande clarté la façon dont certaines revendications et enjeux populaires peuvent être récupérés dans l’optique du pire. Or les exemples d’hommes politiques, de polémistes et de chroniqueurs jouant sciemment avec le feu dans la sphère médiatique ne manquent pas.

Dès les premiers épisodes, on est happé et frappé par cet engrenage vicieux que Sam et son équipe ont tant de difficultés à enrayer. La démonstration est d’autant plus interpellante qu’elle se base sur des réalités connues: info spectacle, commentateurs et chaînes info en roue libre, réseaux sociaux en feu… Une société où « tout est politique, même le foot » et où chaque geste, chaque prise de parole est scrutée, commentée et potentiellement détournée. Mais ce qui séduit le plus, ce sont le décryptage et la pédagogie du propos.

A un point tel que la Fondation Jean Jaurès s’en est emparé afin de proposer une série de textes analysant les enjeux que la série porte à l’écran. Si elle pourra sembler par moments caricaturale, elle a le bon goût de nous alerter. L’autre bonne nouvelle ? Sans rien divulgâcher : Éric Benzekri promet une saison 2 à la hauteur des ambitions de sa série en déplaçant le débat de l’aire de l’info spectacle vers l’arène politique.

Karin Tshidimba