«Quand on parle de choses sensibles comme la politique, la guerre ou la violence, on part de ce qui existe pour imaginer la fiction (...) Les séries permettent d’aller dans la finesse, les détails et donc dans la compréhension du monde, même en partant de solutions fictives, elles n’ont pas d’autres choix que d’arriver au réel», expliquait récemment Eric Benzékri, scénariste de Baron Noir*** dans les Inrocks.
Depuis samedi, cette série, en huit épisodes, très réussie se donne à voir sur Be Séries.
Présentée en janvier dernier au Fipa de Biarritz (cf. la critique ici), elle prouve que les Français savent comment sonder le terreau politique, souvent bien plus riche et hétérogène qu’il n’y paraît. Une pratique riche d’enseignements au quotidien, comme le rappelle un ouvrage publié récemment.
«Regarder des séries permet de réfléchir le chaos dans lequel nous vivons, de mieux observer des phénomènes ciblés que leurs intrigues éclairent», à l’instar de ce que permettent les livres ou les films. «Les séries offrent un miroir à ce que nous vivons collectivement mais aussi des clés de compréhension.» Cette conviction n’est plus seulement celle des fans mais aussi celle d’un certain nombre d’universitaires d’horizons multiples.
Politologue et géopoliticien, Dominique Moïsi a enseigné les relations internationales à Sciences-Po, à l’Ena et à Harvard. Mais il a fini par regarder des séries, «comme tout le monde». Dans son ouvrage paru chez Stock (« La géopolitique des séries ou le triomphe de la peur »), il tente de voir comment les fictions nous aident à avancer dans le brouillard.
Réputées pour être les lieux de l’intime, les séries ont acquis une pertinence d’analyse sociale et politique. Sur ce plan, le 11 septembre a représenté un tournant majeur avec des séries comme 24h chrono, The West Wing, Homeland… Dans un monde gouverné par la peur, un sentiment dont nos dirigeants se servent souvent, impossible d‘ailleurs de ne pas évoquer Game of Thrones.
« Harvard a beaucoup écrit sur GoT, c’est un jalon comme le fut The West Wing. Une question s’impose : est-ce une école du cynisme ou de l’éthique ? » Impératif kantien, réflexion sur le pouvoir, alliances changeantes au Moyen Orient, « on trouve tout cela dans GoT », affirme Dominique Moïsi.
« GoT n’est pas une transposition du Moyen Age européen, c’est le Moyen Orient tel qu’il se vit aujourd’hui. Sa trame éclaire aussi la question des réfugiés, même si dans GoT, ils viennent du Nord. »
M. Moïsi ne s’en cache pas : ce sont ces enfants qui l’ont obligé à regarder Game of Thrones, lui qui affectionnait ses rendez-vous à Downton Abbey, symbole d’un ordre du monde en plein déclin. «Tu ne peux pas parler du triomphe de la peur sans avoir vu GoT» lui ont-ils asséné. Il s’est donc exécuté. Ma réflexion sur la peur et sur le rôle des images dans «La géopolitique de l’émotion» (son précédent livre, NdlR) m’a tout naturellement amené à regarder des séries. »
Réflexion sur la propagande des images violentes, sur les dérives démocratiques (Borgen, House of Cards, Occupied, Baron Noir), sur le pouvoir et ses trahisons, sur les frontières: les maux du globe sont partout. Et sont au coeur des séries.
Invité du dernier Festival Séries Mania, Dominique Moïsi y a donné une conférence très instructive sur base de son dernier livre (« Violence des séries, violence du monde »), un dialogue mené par le journaliste Olivier Joyard qu’il est même possible de revoir dans son intégralité (extraits à l’appui) ici.
KT
nb : Les deux premiers épisodes de Baron Noir sont rediffusés mercredi soir (0h10) et jeudi (21h20).
Une réelle intensité, avec une ambiance grinçante et une reconstitution de
l’appareil politique aurait pu faire de « Baron noir » une vraie réussite
si le trait n’avait pas été si forcé, si la linéarité du baron noir
n’avait pas été aussi exagérée, et si les procédés ne s’étaient pas
révélés aussi caricaturaux. dommage.