Face à ce constat, une campagne de formations contre les violences sexistes est lancée ce lundi 10 octobre en Belgique afin de changer le climat qui règne sur certains tournages. Où la promiscuité et la précarité des statuts donnent lieu à divers types de violences (sexistes). Dans de nombreux pays (France, États-Unis, Grande-Bretagne, Suède), ces formations sont obligatoires.
Tout le monde se souvient de la réaction d’Adèle Haenel lors des César 2020 face à l’absence de prise en compte de la parole des comédiennes agressées et des remous autour de l’affaire Weinstein aux États-Unis. Mais, dans les faits, qu’est-ce qui a changé concrètement sur le plan des violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma ? La question est au cœur de la campagne lancée en ce début du mois d’octobre en Belgique afin de lutter contre ce phénomène sournois qui gangrène le 7e art. À la manœuvre, on retrouve deux associations, Elles font des films et Paye ton tournage, soutenues par le Centre du cinéma et de l’audiovisuel et la ministre de la Culture, Bénédicte Linard. La campagne propose des formations sur ces thématiques spécifiques aux professionnels du secteur. Elle s’étend jusqu’en décembre.
Remettre des limites claires pour tous
« Dans un milieu où le sentiment de danger et le sentiment d’impunité sont très exacerbés, où les dépassements sont valorisés, les violences sexuelles font des victimes », rappelle Alice Godart de Paye ton tournage. « Le mouvement #MeToo n’a pas eu d’effet, ni en France ni en Belgique. Les agresseurs sont toujours sur les plateaux et dans les équipes de tournage, mais les victimes, elles, sont blacklistées ou bien elles ont changé de métier. Ces formations sont essentielles et apprennent des notions très utiles même en dehors du lieu de travail. »
Il faut que chaque personne soit consciente de ce que permet ou pas la loi, car, « clairement, dans le milieu, certains ont plus peur de la production que de la loi. Les gens ne veulent pas passer pour des emmerdeurs, ne veulent pas perdre leur boulot, ne veulent pas mettre le tournage en danger ou en retard. Tout cela pèse très lourd ».
Or, la Belgique est « en retard par rapport aux autres pays ». En France et aux États-Unis, ces formations sont obligatoires. « C’est grave, car la Belgique est un pays de coproduction, il faut que la situation soit harmonisée avec les autres pays européens. En Suède, cela fait huit ans que c’est le cas : il y a forcément des personnes formées dans chaque équipe. En Belgique, cela n’a jamais été accepté, mais il est grand temps« , poursuit Maya Duverdier de l’association Elles font des films.
Pour y arriver, elles ont choisi de fédérer d’abord leurs « allié(e)s », à savoir toutes les personnes conscientes du problème, pour pouvoir ensuite en toucher d’autres. « Il faut que ce ne soit pas seulement aux victimes de prendre en charge ce problème, mais qu’il y ait une prise de conscience d’un problème sociétal, exacerbé dans le milieu. »
« Si tout le monde suit ces formations, on aura tous des bases communes et on pourra aborder plus facilement ces problématiques dans un milieu où les dépassements horaires, la grande proximité, les longues semaines de tournage créent parfois du flou entre vie professionnelle et vie privée, et c’est même valorisé. Beaucoup jouent là-dessus de façon abusive », souligne Alice Godart.
Les organisatrices empruntent la métaphore du Code de la route. « Il est important qu’on connaisse tous les règles pour pouvoir conduire en toute sécurité et qu’on se mette à jour sur la signification des nouveaux panneaux. On estime qu’il y a un flou juridique et un flou sur le comportement à adopter sur les tournages apparemment puisqu’on a pu constater de nombreuses dérives avec les témoignages qui ont afflué à notre association Paye ton tournage », explique Alice Godart. « Il faut qu’on ait tous en tête ce code de conduite – ces droits et devoirs – propre au milieu du cinéma. On sait qu’il y a pas mal de privilèges dans ce milieu. On sait qu’il faudra du temps, qu’il faudra être compréhensif et pédagogue. »
Formations appréciées en France
En France, après un an, le retour sur ces formations données dans des écoles de cinéma est déjà très positif. « Et il y a des demandes dans tout le secteur culturel« , souligne Maya Duverdier.
« Beaucoup de gens nous ont dit qu’ils avaient pris conscience d’un tas de mécanismes auxquels on ne pense pas vraiment, mais qui sont des micro-agressions mêlant remarques racistes ou sexistes et qui influent très négativement sur l’ambiance de travail. Parfois, en revenant aux définitions, cela permet de clarifier et de simplifier les choses« , enchaîne Alice Gordart. « L’accent sera d’abord mis sur le sexisme, mais on sait que le problème est plus large, qu’il existe d’autres types de violence cachée : racisme, validisme, grossophobie, intersectionnalité. C’est une première étape… »
« On a l’envie de redevenir actrices de notre milieu professionnel et de ne pas le subir. Ces outils permettent de fluidifier les relations entre les gens, cela crée de nouvelles manières d’agir et cela va vers davantage de bien-être au travail. C’est un mouvement global, de toute façon. Le problème vient de la reproduction de schémas ancrés depuis de nombreuses années. Il importe de regarder le milieu autrement, d’adopter de nouvelles façons d’agir. C’est la même chose dans la prise de conscience par rapport aux questions écologiques », souligne Maya Duverdier.
« La difficulté vient du fait que c’est un milieu où les postes de pouvoir sont majoritairement occupés par des hommes et où les questions d’argent sont centrales. C’est pour cela que c’est compliqué de remettre les fonctionnements en question… » analyse Alice Godart.
Si elles ont décidé d’« ouvrir la voie« , les deux associations sont convaincues que c’est seulement si la question entre dans la sphère politique que cela pourra bouger. « Nous œuvrons dans le milieu associatif, on reste militantes et précaires. Ce serait dommage d’être arrivées jusque-là et de ne pas parvenir à le mettre concrètement en place. Si le politique ne prend pas le relais pour formaliser la démarche, cela restera lettre morte. »
Entretien: Karin Tshidimba
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