À la fois œuvre méta et réflexion sur la création, la série Irma Vep filme un cinéaste et son actrice perdus dans les méandres du 7e Art. A voir sur Be tv dès le 15 septembre
Lassée des blockbusters dans lesquels elle s’illustre, Mira (Alicia Vikander), star hollywoodienne, quitte Los Angeles pour venir tourner à Paris le remake d’un célèbre film muet avec un réalisateur (Vincent Macaigne) qu’elle admire. Une belle façon d’échapper aussi à une peine de cœur qui la poursuit… Mais sur place, le tournage s’annonce plus compliqué que prévu.
En 1996, Olivier Assayas (Clean, Personal Shopper) proposait déjà l’histoire du tournage chaotique d’un film inspiré du film muet Les Vampires, créé par Louis Feuillade en 1915. Le tournage intégrait d’ailleurs des images du film d’époque auquel il offrait une nouvelle résonance. La mise en abyme se poursuit aujourd’hui puisque la série que propose Assayas, relate le tournage d’un nouveau remake du film de Feuillade et offre donc un écho amplifié (huit épisodes) à Irma Vep, son premier film éponyme. Échos, miroirs et reflets changeants sont intensément convoqués dans cette création polymorphe.
Au-delà de sa forme, la série joue sur cette frontière un peu floue entre sensualité et cruauté (supposée), pariant sur cet espace ténu qui sépare la vamp du vampire (cf. ci-contre). Au fil des jours de tournage et des soirées ou discussions hors plateau, on voit de nombreux comédiens souffrir des rejets subis, qu’ils soient amicaux ou professionnels. Dans l’un comme dans l’autre des deux cas, chacun cherche à être compris, ou du moins, à être rassuré ou aimé. Ainsi de Mira que l’on voit souffrir au contact de son ancienne maîtresse et de son ancien compagnon, mais qui semble ignorer les (doux) sentiments qu’elle-même peut susciter. Sur ce point, la série ne peut pas être soupçonnée de sacrifier aux injonctions de l’époque puisque cette question du polyamour était déjà présente dans le film de 1996.
Autoportrait d’Olivier Assayas en cinéaste fébrile
Vincent Macaigne est parfait dans le rôle du réalisateur angoissé (double d’Assayas) qui prend des psycho-régulateurs parce qu’il « ne supporte pas l’interaction avec les gens ». Or il est difficile de parvenir à réaliser un film sans être très entouré… Il fait de René Vidal un homme contradictoire et fébrile, passant de la supplique à la fureur en quelques secondes à peine. Il invente un personnage moins énigmatique et distant que ne l’était Jean-Pierre Léaud dans le film originel, mais tout aussi intrigant. Dans son sillage, la série explore des relations plus ou moins toxiques sur et en dehors des lieux de tournage et offre des échos réjouissants à la série Dix pour cent.
Irma Vep se moque au passage des cinéastes qui ne semblent pas assumer totalement leurs choix de carrière. Comme René Vidal qui se défend de faire une série. « C’est un film, certes un peu long, divisé en huit, mais personnellement je ne fais pas une série, je fais un film… » affirme-t-il, tout en intégrant des composantes des deux médias… Pourtant Assayas n’en est pas à son coup d’essai qui remonte à 2011 avec la mini-série Carlos.
Proposant une réflexion sur le cinéma, les plateformes et le star-system de part et d’autre de l’Atlantique, son récit prend une tournure parfois désinvolte et confuse, mais permet à Alicia Vikander (Tomb Raider, The Danish girl) et Jeanne Balibar (Barbara) notamment, de dévoiler leur large palette de jeu. Assayas déploie surtout un savoir-faire indéniable pour tenter de perdre ses spectateurs dans le dédale des nuits parisiennes, en enchâssant des extraits de films de 1915 et de 1996 pour faire briller le milieu du cinéma qui le fascine…
Aux origines d’Irma Vep, vamp ou vampire ?
Cape noire et canines démesurées. Si les plus célèbres vampires du grand écran portent le plus souvent une ample cape et une coiffure gominée, le cinéma n’a pas attendu les années 2000 pour leur prêter des traits féminins. Dès 1915, le Français Louis Feuillade s’empare de ce symbole éminemment suggestif d’un appétit insatiable et en fait l’emblème d’une société secrète directement liée au crime organisée. À sa tête, on retrouve une certaine Irma Vep (anagramme de « vampire ») au regard charbonneux et à la très affriolante tenue moulante noire. Une figure qui n’est pas assoiffée de sang, mais plutôt en quête de pouvoir, à laquelle le réalisateur Olivier Assayas a rendu hommage une première fois dans son film Irma Vep en 1996.
L’ombre de Musidora. Sorte de génie du mal, Irma Vep incarne la femme tentatrice et diabolique ; d’aucuns affirment d’ailleurs que le mot « vamp » est directement inspiré d’une contraction du terme « vampire ». Chez Feuillade, Irma Vep était incarnée par Musidora (Jeanne Roques de son vrai nom), actrice à la plastique irréprochable et réalisatrice audacieuse, fille d’une pionnière du féminisme qui, à travers ses projets avec Feuillade, devint l’égérie des surréalistes. En redonnant vie, une deuxième fois, à cette jeune femme en quête de repères, mais éprise de liberté, Olivier Assayas adresse un joli clin d’œil à celle qui peut être considérée comme l’une de ses plus fidèles muses.
Karin Tshidimba
*** Irma Vep œuvre gigogne Scénario Olivier Assayas Réalisation Olivier Assayas Avec Alicia Vikander, Vincent Macaigne, Jeanne Balibar, Nora Hamzaoui, Vincent Lacoste. A voir sur Be tv dès le 15/09 (8 x 52’)
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