« The Wire” fête ses 20 ans ce jeudi. Passée presque inaperçue à ses débuts, la sréie de David Simon a défini les nouveaux standards des fictions modernes. Retour sur les 5 atouts de cette “série-monde” étudiée à travers le globe.

2 juin 2002 sur HBO. Il y a vingt ans exactement, l’histoire des séries écrit l’une de ses pages les plus indélébiles. The Wire entre dans Baltimore et marque le début d’une épopée relatée sur cinq saisons concentriques et obsessionnelles.
Tout avait pourtant commencé par un banal trafic de drogue dans les districts ouest de Baltimore… En se penchant sur cette affaire qui agite la police locale, David Simon, ex-journaliste du Baltimore Sun, n’entend pas dédouaner qui que ce soit. Il compte, au contraire, exposer la vérité nue : celle d’une série de dérives qui gangrènent la ville. Une cité dont il refuse de rougir et qui, à ses yeux, reste à nulle autre pareille, en dépit de son taux de criminalité record. Parallèlement aux fils qui traversent le générique de la série, David Simon tire ceux de son récit aux multiples strates.

1. Multiplicité de points de vue

Créée par David Simon et coécrite avec Ed Burns, ancien détective de la criminelle devenu professeur, la série ambitionne de dessiner une fresque. Le troisième comparse de l’aventure est George Pelecanos, auteur de polars reconnus. On a souvent comparé le travail des trois hommes à celui de Balzac ou de Dickens, à cause du nombre de personnages et de la réalité mise en lumière. Mais David Simon envisage son récit tout autrement. « Dans nos têtes, nous écrivons une tragédie grecque », souligne-t-il. Ici, point de dieux acariâtres et jaloux mais des institutions aveugles et sourdes aux désirs des personnes qu’elles emploient ou sont censées aider.

Son ambition est de faire entendre un chœur qui parle du quotidien de la cité. Ce mantra s’affiche dès la chanson du générique  » Way Down in the Hole » (Tom Waits), qui n’escamote rien des difficultés rencontrées. Fidèles à leur formation, David Simon et Ed Burns multiplient les sources pour cerner la vérité de la cité et de ceux qui y vivent.

Leurs expériences combinées leur permettent de faire de The Wire une œuvre sombre mais hyperréaliste montrant comment chaque strate de la société – police (criminalité), port (emploi), mairie (politique), éducation (mixité raciale), justice et médias – explique la faillite du « système » américain. À chaque saison, ses territoires et institutions explorés. Si les changements de personnages bousculent le téléspectateur au début, ils lui permettent d’appréhender la complexité du réel et ringardisent à jamais l’idée du héros providentiel.

2. Une fresque sociale toujours actuelle

Début 2020, durant le confinement dû à la crise sanitaire, The Wire a triplé son nombre de visionnages sur HBO Now, le service de streaming de la chaîne. Dépassé The Wire ? En aucun cas. Les constats qu’elle dresse sont intemporels car la radiographie sociale dessinée reste en prise avec l’actualité.

The Wire ne cache rien des moyens dérisoires dont dispose la police dans sa lutte quotidienne contre les trafiquants de drogue, mieux armés sur tous les plans. Et on ne parle pas seulement de leurs calibres… Le fossé technologique entre policiers et trafiquants est d’ailleurs l’un des running gags préférés de la série. Et lorsqu’elle aborde la question de l’enseignement dans la saison 4, les constats sont tout aussi accablants.

Cette quête de réalisme s’inscrit jusque dans les moindres détails. « Aucune autre série ne montre autant de paperasse que The Wire », s’est souvent félicité David Simon. Ce décalage saisissant permet d’anticiper les futures dérives provoquées par une accumulation de frustrations – l’impuissance, la colère et la tentation omniprésente – et la « politique du chiffre » (arrestations…) qui, au-delà même du racisme d’une partie des forces de l’ordre, « explique » les dérapages souvent constatés, qui perdurent à travers l’histoire des États-Unis.

3. Un propos précurseur

La critique sociale est acerbe, mais impossible de prendre Simon et ses acolytes en défaut : cette ville, ils l’habitent, ils l’arpentent depuis des années, ils la connaissent intimement et, malgré tous ses défauts, ils l’aiment. Pour accroître encore le réalisme de la série, ils vont jusqu’à recruter des gars qui « tiennent les murs de la cité » pour camper certains de leurs personnages principaux ou assumer des postes techniques.

Conformément aux données démographiques de Baltimore (62,8 % d’habitants noirs), le récit est porté par un nombre record d’acteurs noirs – et on ne parle pas seulement des comédiens Idris Elba, Wendell Pierce, Michael K. Williams et Clarke Peters qui donnent la réplique à Dominic West et John Doman. Ces personnages sont surtout présents dans la première saison qui aborde aussi la question des violences policières à l’origine de la création du mouvement Black Lives Matter (BLM). En ce sens, on peut dire que The Wire a été précurseur et sa filiation avec We Own This City, nouvelle création de David Simon ancrée à Baltimore, ne répond pas à un effet de mode, mais s’inscrit dans le même sillon d’enquête journalistique et de quête sociologique.

4. Inspirée de faits réels

Ces liens toujours plus étroits entre journalisme et réalité sont l’un des mouvements de fond des séries de ces dernières années. Il suffit de voir l’attente suscitée par des fictions comme We Own This City ou Tokyo Vice, aujourd’hui. La réflexion va bien au-delà du petit écran puisqu’elle concerne aussi les films, les livres et les documentaires. Quel que soit le domaine, le label « inspiré de faits réels » fait plus que jamais recette. Les liaisons dangereuses entre la réalité, et le récit qui en est tiré, sont au cœur de la saison 5, la dernière, qui aborde aussi la question lancinante des SDF.

5. Inscrite dans l’Histoire

Tous ces éléments contribuent à en faire une série qui marque les mémoires et l’Histoire, louant l’intelligence de son public. Dans The Wire, aucune enquête ne se résout en un seul épisode. On est très loin de la maîtrise technique des Experts et, malgré l’éloge de la complexité et de la lenteur, bien loin des coups d’éclat de Columbo ou du Mentalist.

La série ne postule aucun happy end , ce qui en fait une fiction résolument adulte. L’idée n’est pas de réconforter le public mais de le pousser à réfléchir en tant que citoyen. En multipliant les constats sur le fonctionnement de la société américaine et ses dérives capitalistes (la loi du chiffre s’imposant partout), The Wire est résolument politique.

Les constats qu’elle dresse en matière de lutte contre la criminalité, de fonctionnement des administrations, de la justice et du système éducatif, ont donc généré de nombreuses études universitaires. Et pas uniquement dans le but de louer la qualité et l’originalité de sa narration sérielle.

Karin Tshidimba