Vingt ans après The Wire, David Simon revient dans sa ville fétiche. En six épisodes, sa nouvelle mini-série décrypte une affaire de corruption à grande échelle au sein de la police locale. A voir jeudi à 20h30 sur Be tv.

Une série de David Simon est toujours un événement. L’homme a profondément modifié la narration sérielle par le rythme, l’ampleur et les ambitions qu’il a su lui apporter, en faisant d’une série d’apparence policière, The Wire, le meilleur témoin des changements profonds et des failles au sein de la société américaine. Vingt ans plus tard, le voici qui revient à Baltimore, la ville qui l’a rendu célèbre. Sa nouvelle création We Own this city★★★ est une scrupuleuse radiographie des affaires Gray et Wayne Jenkins, symptomatiques des dérives policières américaines qui perdurent dans cette ville affichant l’un des taux de criminalité les plus élevés aux États-Unis. Et les constats qu’il dresse sont cinglants et éclairants des pièges dans lesquels certaines politiques volontaristes peuvent s’embourber. Pour leur nouvelle série, les auteurs David Simon et George Pelecanos se sont appuyés sur le travail du journaliste Justin Fenton.

Un scandale d’une ampleur inattendue

“Cette affaire Gray (du nom de Freddie Gray, jeune Afro-américain mortellement blessé lors d’une interpellation en 2015, NdlR) a mis en lumière la brutalité policière mais aussi la rupture de confiance entre les forces de l’ordre et la population de Baltimore et tous les événements qu’elle a générés ensuite : manifestations, émeutes… Je ne m’attendais pas à écrire ce livre lorsque j’étais journaliste, mais les coulisses de cette affaire de stup ont eu un impact tel que même lorsque les blessures ont été cicatrisées, les traces ou les stigmates demeuraient dans la ville.”


Justin Fenton, journaliste spécialisé dans les affaires criminelles depuis quinze ans au Baltimore Sun, reconnaît avoir été “étonné par l’ampleur et le timing de cette affaire qui a éclaté en plein cœur d’une campagne de réformes de la municipalité pour changer son image. On était habitué à une succession de petits scandales, toujours traités comme s’il s’agissait de faits isolés.”
À croire que rien n’a changé malgré le constat cinglant déjà dressé il y a 20 ans par la série The Wire. À croire que la guerre contre la drogue n’a pas avancé d’un iota et que l’on est toujours face aux mêmes inégalités et aux mêmes violences policières…
“Comme le montre la série, les policiers sont confrontés à cette violence quotidiennement mais il n’y avait pas eu jusqu’ici une analyse en profondeur des raisons de cette violence dans les rues et en interne. Beaucoup d’informations, concernant les causes de ces comportements, étaient enfouies. La série est très fidèle à la réalité. Elle montre bien qu’énormément de plaintes étaient classées sans suite. Les tentatives de réformes ont eu beaucoup de mal à voir le jour, quelques progrès ont finalement été réalisés en termes de transparence. Certaines pratiques ont changé sur le terrain comme le fait que la police a été obligée de porter des mini-caméras pour que les interventions puissent être filmées. Mais les changements sont lents à mettre en place et les mentalités encore plus difficiles à faire évoluer”, constate Justin Fenton.

Une population sur ses gardes

Depuis l’affaire George Floyd, le public a davantage le réflexe de sortir son portable pour filmer ce qui se passe, “il est plus impliqué que dans le passé. Cela change la donne. Avant, les victimes étaient démunies et n’avaient aucune preuve à avancer. Elles ne pouvaient que faire valoir leur voix contre celle des policiers abusifs. Aujourd’hui, elles disposent de davantage de poids surtout lorsque les vidéos sont partagées via le Net. Les violences policières peuvent donc être dénoncées publiquement et à l’international. Ce qui n’était pas le cas en 2003”, souligne Wunmi Mosaku, actrice de la série.
La comédienne y joue Nicole Steele, avocate qui travaille pour le ministère de la Justice. C’est elle qui découvre le fond de cette affaire, avant même le FBI et la police des polices, qui ne semble pas très motivée par cette enquête au départ. Elle est décidée à décrypter le système qui a permis ces abus plutôt que de se pencher seulement sur les excès d’individus isolés.
“Nicole est le seul personnage inventé dans cette affaire. Elle plonge dans cette enquête afin de mettre en lumière la tolérance généralisée et les dérapages systématiques qui ont permis qu’on en arrive là. Son but est de faire en sorte que la justice prévale, mais elle prend vite conscience qu’une femme seule ne parviendra pas à inverser la tendance. Cette corruption s’est propagée de la police vers d’autres pans de la société et même du gouvernement. C’est difficile pour elle de rester positive tandis qu’elle prend conscience de l’ampleur du défi au fil de son enquête. Cela ébranle ses convictions profondes et son respect pour l’institution judiciaire” explique l’actrice.

Promouvoir l’égalité et la justice pour tous

Cette réforme a aussi un coût symbolique. “Évidemment l’argent investi dans la technologie et pour assurer la sécurité – on parle de millions et de millions de dollars – l’a été au détriment d’autres postes dans le budget, comme ceux qui auraient pu concerner l’analyse des causes des dérapages”, souligne Justin Fenton.
We Own this city prouve que les choses ont changé, en partie du moins : les policiers ont bel et bien été arrêtés et poursuivis, comme le retrace le début de la série. Restait à expliquer comment leur système d’arrestations arbitraires a pu être mis en place et pourquoi la municipalité et la police des polices ont fermé les yeux pendant si longtemps…
La série démontre surtout que pour qu’un tissu social puisse cicatriser, il faut y promouvoir l’égalité et la justice pour tous. Un message qui résonne bien au-delà des frontières de Baltimore.

Karin Tshidimba, à Lille