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“Oussekine” retrace l’histoire vraie du jeune étudiant de 22 ans, mort sous les coups de la police en 1986. La mini-série en 4 épisodes est à découvrir sur Disney+ ce mercredi. Une tragédie relatée avec justesse. Rencontre avec Antoine Chevrollier, son créateur.

Cette histoire lui trottait dans la tête depuis des années. Depuis ce jour de 1994 où Antoine Chevrollier a découvert, à la sortie du film La Haine, ce couplet de rap scandé par le groupe Assassin : « L’État assassine, un exemple : Malik Oussekine ! » Pour le « jeune prolo dans son petit village du fin fond de l’Anjou », cette histoire est un choc, bien plus qu’un simple fait divers.

« Ce nom ne m’a jamais quitté. Je ne sais pas pourquoi il a fallu si longtemps pour parler de cette histoire (près de 36 ans, NdlR)… Ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question mais aux décideurs et autres… » fait remarquer le quadragénaire à juste titre. « Cela pose un problème politique, social et historique. Cette histoire me paraît indispensable, c’est une zone d’ombre de notre roman national, une métastase historique. » Dans cette rencontre avec la presse, il arrive accompagné de ses interprètes et de ses quatre coscénaristes.

L’histoire intime d’une famille ordinaire

« Cela fait partie du déni de l’histoire vécue en France depuis la décolonisation. Ce sont des faits dont on ne parle jamais et qui restent comme un cancer. Ce sont des abcès non soignés. Je suis de cette génération et ces quatre épisodes sont un grand soulagement, concède Slimane Dazi, qui joue Miloud Oussekine, père de Malik. Je suis très ému et je ne remercierai jamais assez Antoine de s’être battu pour raconter cette histoire. C’était très important qu’elle soit connue et surtout de rendre hommage à cette génération oubliée de l’histoire de France. Je suis très touché par le parallèle entre la tragédie de Malik et celle de son père ; cela remue beaucoup de choses. Je suis fier d’avoir participé à ce projet et heureux qu’il existe : on en avait besoin ! »

En découvrant la personnalité de Malik Oussekine, on ne peut qu’être touché. « Il avait confiance en ses capacités, il avait foi en l’avenir et en son pays. C’était un jeune homme solaire, impétueux qui avait beaucoup d’humour. Il était très conscient d’avoir la chance d’avoir sa famille autour de lui. Il avait un horizon magnifique devant lui. Il se posait mille questions. C’était un petit gars de Meudon qui regardait Paris et avait envie de bouffer le monde. »

Pour pouvoir dresser ce portrait intime, Antoine Chevrollier a rencontré la famille Oussekine et organisé des rencontres avec les frères de Malik. De dimanche en dimanche, les liens se sont tissés jusqu’à ce qu’ils lui remettent la mallette contenant ses derniers effets personnels.
« Chaque comédien a eu un moment de connexion avec Malik et le contenu de sa mallette. Cela nous a permis de mieux imaginer son univers », confie Malek Lamraoui qui joue son frère Benamar.

« C’était rassurant de rencontrer ses frères pour ne pas avoir l’impression d’utiliser leur histoire à des fins personnelles. On était tendus au moment de les rencontrer pour la première fois. Ils ont vu Sayyid et ils l’ont tout de suite appelé Malik. Il y avait beaucoup d’émotion. On n’aurait pas pu faire ce genre de projet sans avoir leur aval« , souligne Tewfik Jallab, qui joue le charismatique frère aîné Mohamed.

« C’était une nécessité, on savait pourquoi on était là. Cela donne du sens à notre métier. Une des raisons les plus fortes de la création de cette série est de donner la parole à ceux à qui on l’a finalement volée », résume Naidra Ayadi, qui joue la sœur aînée Fatna.

« J’ai aussi eu la chance de rencontrer la famille et ils m’ont dit à quel point ils avaient apprécié le travail de leur avocat, Me Dartevelle, explique Laurent Stocker. Ce groupe a été comme une troupe. Il y avait l’envie de faire connaître cette histoire aux jeunes de 20 ans. Il y a un travail énorme à faire en France autour d’événements qui ont été tus. Il faudrait un jour qu’il y ait une série sur le 17 octobre 1961 et sur la guerre d’Algérie, des sujets qu’on a encore du mal à traiter en France… »

Chercher à comprendre de l’intérieur

Pour avoir travaillé sur Le Bureau des légendes et Baron noir, Antoine Chevrollier sait que la série est le meilleur terreau pour retracer ce destin hors du commun. « Disney s’est tout de suite positionné pour faire cette série. Ils nous ont accompagnés avec exigence et bienveillance. Ils nous ont fait confiance pour parler de cette affaire française au reste du monde. »

« On est parti des faits de la nuit du 5 décembre et en creusant le sujet, on s’est vite rendu compte que ce qui nous intéressait, c’était le moment d’avant (l’enfance de Malik) et le moment d’après (le choc et le combat de sa famille). On a pris conscience que l’histoire de Malik permettait de raconter un pan de l’Histoire plus large, oubliée ou volée, comme le disait Naidra. De revenir à octobre 1961 et au retour de la famille Oussekine à Alger dans les années 1970, à travers les flash-backs qui racontent ce qui a constitué cette famille« , détaille le réalisateur Antoine Chevrollier.

Pour lui, l’important n’est pas la ressemblance physique des comédiens avec les membres de la famille Oussekine, mais la proximité et la compréhension. « Ce qui permet la compréhension, c’est le fait d’être à l’intérieur de cette famille. De sentir cette peine universelle et les effets de cette violence étatique sur eux. Il fallait être au cœur de cette histoire : une mère qui perd son enfant, des frères et sœurs qui perdent un petit frère et cette violence médiatique aussi. »

« Beaucoup de gens de ma génération ne savent pas qui est Malik Oussekine ou en ont à peine entendu parler« , précise Mouna Soualem qui joue la plus jeune sœur Sarah. « Je connaissais l’existence de cette plaque commémorative située rue Monsieur Leprince qui ne disait pas toute la vérité… À travers ce projet, grâce à Antoine et aux discussions que l’on a eues avec les membres de la famille Oussekine, j’ai appris tellement de choses… J’ai vraiment hâte que les gens l’apprennent aussi et s’en souviennent. »

« En tant que comédien, on essaie de faire des choix à la hauteur de nos valeurs. Cette affaire me touche, c’est un engagement, mais on ne veut pas faire de leçon de morale, explique Hiam Abbass qui joue la maman du jeune Malik. « Ce sont des sujets importants à aborder, car cela peut permettre aux gens de trouver les réponses aux questions qui se baladent dans leur tête. C’est une nécessité et une responsabilité, mais la réponse à ces questions ne m’appartient pas. »

Changer le regard des générations futures

Une nouvelle génération revendique sa prise de parole et met en lumière ce qu’ont vécu les générations précédentes. « Il y a l’espoir que cela s’inscrive dans une continuité. Toutes ces questions autour de l’identité sont cruciales. Il faut qu’il n’y ait pas de revanche mais bien une fierté de faire partie cette histoire commune de France, souligne la scénariste Faïza Guène. J’espère que c’est l’un des messages que va porter la série. Et je peux en parler, moi, que l’on a surnommée la Sagan des cités. » Elle sourit.

« Cette histoire représente le rapport de la France à la colonisation et aux immigrés qui sont arrivés sur son territoire dans les années 1950 et 1960, résume le jeune Sayyid El Alami, qui prête ses traits à Malik Oussekine. Elle symbolise aussi la longue liste des violences policières qui ont eu lieu dans ce pays. Cela montre ce fait sociétal. Cela représente toutes les morts violentes, car le nom de Malik a marqué la France et est présent notamment dans le rap. Cela permet de parler de cette injustice et d’éviter peut-être que d’autres Malik ne se fassent tuer… Il faut essayer d’enlever cette gangrène et faire en sorte que cette famille et d’autres ne subissent pas l’incompréhension » en plus de la douleur.

Entretien: Karin Tshidimba