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Dans son nouveau documentaire, Olivier Joyard explore un territoire minuscule qui s’est taillé la part du lion à l’international en scrutant ses angoisses, ses espoirs et ses déboires. Israël, terre de séries*** à voir ce dimanche à 12h55 et mardi 25/02 à 22h35 sur Be Séries, et à tout moment sur Be à la demande.

Ancien des Cahiers du cinéma, Olivier Joyard s’est peu à peu tourné vers l’univers des séries pour le compte des Inrocks : un nouveau terrain d’exploration qu’il investit pleinement via la critique et les documentaires. Après Series Addict, Fin de Séries ou Binge Mania, notamment, son sixième documentaire, à ce jour, offre un décryptage éclairant sur la singularité et la richesse des séries israéliennes.
« Israël a émergé depuis 15 ans sur la scène des séries. Le pays permet de sortir du sempiternel duo USA-Grande-Bretagne. Mon précédent documentaire, Binge Mania, m’a donné envie d’en savoir plus sur Israël et de me pencher sur la fabrique des séries à Tel Aviv et ailleurs. »

Au fil de deux voyages, en décembre 2018 et octobre 2019, Olivier Joyard a essayé de montrer un panel représentatif de la création israélienne. « Parce que même si les séries sont vues à l’étranger, on ne sait pas forcément comment elles sont fabriquées. Israël est un pays qui est un contre-modèle. Sa méthode se rapproche plus de celle de la Grande-Bretagne, même si les budgets n’ont rien à voir. Son intérêt est d’être un laboratoire singulier à cause de la question géopolitique mais aussi parce qu’il n’a pas de culture télévisuelle. Ce n’était pas une priorité des pères fondateurs. La télévision y est née à la fin des années 60, les chaînes privées sont arrivées dans les années 90 où la création de fictions est devenue tout d’un coup une priorité d’État. »

Les séries israéliennes ont 20 ans, seulement…

Oui et d’emblée, ils se sont saisis de l’objet télévisuel avec l’intuition que l’on peut raconter des choses très intimes, de façon libre et singulière, et qui résonnent sur tout le territoire. C’est le cas des séries BeTipul (In Treatment) et Hatufim (sur le patient travail de psychothérapie et sur le retour des otages des conflits armés, NdlR). Il y a eu une prise de conscience générationnelle.

Ce sentiment d’urgence permanent, cette fièvre créative nous frappent…

Les Israéliens sont très bons et ils sont arrivés au bon moment. Ils ont dû inventer en très peu de temps, ils n’avaient rien à perdre car ils n’avaient pas de modèle à respecter, ils pouvaient se permettre d’inventer. Il y a cette intensité, cette tension, ce caractère d’urgence à cause de la guerre, cette précarité permanente, cet esprit de débrouille. Tout est infusé par cet esprit-là. Il y a aussi une part de culpabilité : la plupart des créateurs sont assez hostiles à la gestion de la question palestinienne par le gouvernement. Ils ne vivent pas dans leur bulle. Tout cela donne un mélange étonnant et torturé. C’est comme cela qu’on peut créer des œuvres uniques et intéressantes.

Tout le monde se pose la question des enseignements à tirer du modèle israélien…

C’est certain. Il y a d’ailleurs des ateliers et des résidences d’écriture organisés par le CNC pour les scénaristes français à Tel Aviv. On a tous quelque chose à apprendre d’Israël.

Et notamment, comment faire mieux avec moins ?

C’est une question intéressante mais il faut faire attention car c’est aussi un prétexte pour les chaînes et les financiers de ne pas investir davantage alors qu’il y a quand même une certaine précarité des auteurs israéliens. Et puis, il y a cette idée qu’il vaut mieux réussir à exporter ses idées parce que les débouchés sur place ne sont pas suffisants. Les liens historiques avec Hollywood aident, mais ils ne sont plus aussi prégnants qu’avant. Les séries israéliennes s’exportent partout : Inde, Allemagne, Russie,… Ils sont reconnus sur le plan mondial.

Le créateur Hagai Levi parle de sa façon de travailler, proche du cinéma d’auteur.

C’est sans doute ce qu’il faut faire : laisser les auteurs s’exprimer et les laisser vivre au mieux. Avoir une vision artisanale au service d’une plus grande diversité des séries. C’est un moment charnière parce qu’il y a besoin de plus de séries partout. Netflix a mis un grand coup de pied dans la fourmilière. Il faut plus de séries et on aimerait les faire le mieux possible. C’est une réflexion qui existe presque dans tous les pays hors USA… Les créateurs israéliens nous offrent des pistes. Ils peuvent nous apprendre à travailler avec des bouts de ficelle, à aller plus vite mais surtout à rester très personnels. Ils ne proposent pas un modèle industriel…

Adam Gabay campe Avishay Elbaz dans la série « Our Boys ».

Deux séries à placer sur sa liste

S’il ne devait citer qu’une production à voir absolument, Olivier Joyard pointe la toute première création du scénariste israélien : BeTipul, devenue In Treatment à l’international. « Elle a placé Israël sur la carte mondiale des séries, elle a été adaptée 19 fois et l’est encore en ce moment pour Arte. Elle nous a appris à réfléchir à la forme : Hagai Levi a trouvé un concept, une méthode et une mise en scène très adaptées à la télévision. Il a prouvé qu’on peut faire une grande œuvre dans un contexte simple et épuré. »

Coproduite par HBO, Our Boys (photo) va plus loin. « Elle parle d’Israël, pays de traumatisme. Cela me conforte dans l’idée qu’on est à une époque où la société se regarde de plus en plus en face. On y tire le fil de l’introspection, malgré la tension et la polarisation politique de la société. Malgré un gouvernement populiste, pour le dire poliment, on peut s’exprimer à travers les séries et y montrer ce qu’on pense du pays, de ses excès, ses blessures et de sa violence. C’est remarquable. »

Karin Tshidimba