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Devenue célèbre grâce à son rôle dans la série “Who’s the boss”, l’actrice de 76 ans est aujourd’hui l’une des muses de Ryan Murphy et continue à se battre pour défendre les communautés invisibilisées.

Judith Light n’a assurément pas volé son patronyme. Dès son arrivée sur le tapis bleu du Festival de télévision de Monte-Carlo, son visage rayonnant et son humour détonant attirent sur elle tous les regards. Et même si son parcours parle pour elle, on est ravi de constater que la star est bien conforme à l’image qu’elle renvoie.

Inoubliable dans le rôle d’Angela Bower de la série Madame est servie, Judith Light a présidé le jury Fiction de la 64e édition du rendez-vous monégasque terminée le 17 juin dernier. Un rôle qu’elle a tenu avec le même sérieux et l’enthousiasme reconnu durant huit saisons, de 1984 à 1992, prouvant à tous qu’elle n’avait pas usurpé sa place dans la série Who is the boss (Madame est servie en VF), créée par Martin Cohan et Blake Hunter. Avec l’histoire de cette patronne pouvant compter sur l’efficacité et le bon sens de Tony Micelli, son employé de maison, pour l’épauler au sein de son foyer, elle a ravi les coeurs de plusieurs générations. Malgré quelques bisbrouilles ou quiproquos, l’ex-joueur de basket (Tony Danza) et la self-made woman y trouvaient une façon inédite et joyeuse de collaborer et d’élever leurs enfants respectifs sous le même toit. Grâce à son ton décomplexé et à son humour, la série a bousculé plusieurs générations de téléspectateurs en leur présentant une façon originale de vivre ensemble – sorte de colocation avant l’heure – en changeant le regard sur les assignations de tâches entre les hommes et les femmes, ouvrant ainsi la discussion sur la fameuse charge mentale.

La série « Madame est servie » a permis de montrer un autre visage de la famille américaine « traditionnelle ».

« Chacune de mes séries a eu un impact sur moi »

Même révolution, près de trente ans plus tard, avec la série Transparent, créée par Jill Soloway, qui, durant 5 saisons (2014-2019) a suivi le cheminement d’une famille appelée à accompagner la transition de son patriarche souhaitant enfin assumer son désir de devenir une femme. Un rôle tenu avec beaucoup de dignité par l’acteur Jeffrey Tambor, mais une série dont la fin de parcours a été torpillée par les accusations d’agressions émises à l’encontre de son acteur principal… Une fois encore, dans le rôle de son ex-compagne Shelly, Judith Light déployait une douceur et une sensibilité à toute épreuve.

Judith Light est Shelly Pfefferman, confrontée à la transition de son mari dans la série « Transparent ».

A ses yeux, Transparent n’a d’ailleurs rien perdu de son acuité ou de sa pertinence, bien au contraire. Son propos est même encore plus important qu’il ne l’était à son lancement.

« Oui, je le pense. Je sais que nous étions en phase avec l’émergence des réflexions autour de la question transgenre. C’était très important à cette époque et l’écriture de la série était si fine, si brillante. Aujourd’hui, à cause de tout ce qui se passe autour de cette communauté et du recul des droits LGBTQI dans certains Etats, c’est peut-être encore plus essentiel qu’alors. C’est toujours une bonne chose de rappeler à tout le monde que les gens sont des gens, des êtres humains, quelle que soit leur expérience. Et notre générosité et notre gentillesse à leur égard sont essentielles. » Une conviction qui a poussé Judith Light, après de nombreuses demandes sans suite, a « enfin trouvé le temps d’accepter » la présidence du jury du festival de Monte-Carlo. « Un honneur incroyable », à ses yeux.

« Etre à ce festival, en ce moment, dans notre monde, me semble plus important que jamais. Le monde est divisé, bousculé. Les gens s’affrontent d’une manière qui ne conduit pas à la générosité ou à la gentillesse. La communauté artistique, culturelle, est aussi mise au défi. C’est là que ces choses se passent. Pour moi, la curiosité vis-à-vis d’autrui est la base de la créativité. Vous avez de la curiosité pour un sujet ? Vous pouvez en faire le coeur de votre film ou série. C’est là que nous nous réunissons en tant que communauté mondiale, en tant que famille internationale. Ce qui se passe à un point du globe affecte le reste du monde, comme nous le voyons tous. » D’où l’intérêt de se réunir et de parler des thèmes qui « nous touchent tous en tant qu’êtres humains. Afin de les soutenir et de les mettre en avant.« 

Une nouvelle génération de jeunes femmes engagées

De la même façon, chaque série à laquelle l’actrice a pris part « d’une manière ou d’une autre, a eu un impact sur moi. Cela me transforme, me fait voir les choses différemment. Non seulement à propos de moi-même, mais à propos du monde et d’autres personnes.« 

C’est particulièrement le cas pour le personnage d’Angela dans Who’s The Boss
« Le scénario, mais surtout la façon dont Angela est vue à présent, tout cela m’a impactée. Aujourd’hui encore, des jeunes femmes viennent me dire : grâce à ce personnage, je savais que je pouvais m’imposer en tant que femme dans le monde de travail. A l’aéroport, une femme, assise avec son ordinateur, m’a interpellée : ‘si j’ai ma propre entreprise, c’est grâce à Angela Bower’. C’est cela, l’impact pour moi. Je sais que c’est la même chose pour les jeunes garçons. Ils ont vu un homme être lui-même et ne pas être dénigré en étant homme au foyer et en s’occupant d’une famille mixte, recomposée. C’était tellement joyeux. C’est le type d’impact que cela a sur moi. J’aime ce personnage d’Angela : elle est tellement sincère, tellement vulnérable et tellement puissante. Tout à la fois. »

Judith Light dans la série « Madame est servie » (« Who is the boss? »)

Cette forte personnalité a sans doute aussi influencé la toute jeune Alyssa Milano, débutante dans la série Who is the boss, devenue l’une des voix du mouvement #MeToo aux États-Unis. Car Judith Light a toujours été une véritable activiste pour les libertés des personnes LGBTQ…

« Ne devons-nous pas tous être des défenseurs les uns des autres ? Je ne me qualifierais pas d’activiste, mais d’avocate. C’est comme soutenir les gens alors que d’autres pensent qu’ils ne sont pas comme eux. Pourquoi faisons-nous ça ? C’est une question rhétorique. Pourquoi ne sommes-nous pas doux les uns envers les autres ? Pourquoi ne sommes-nous pas généreux ? Nous sommes tous les mêmes. Cela n’a jamais eu de sens pour moi. Et quand cette communauté était dénigrée et rabaissée, j’ai simplement dit la vérité : ce sont mes amis, ma famille. » Avec son mari, Judith Light a d’ailleurs participé au Project Angel Food de Los Angeles, qui prépare et livre des repas à des patients atteints du Sida confinés chez eux. “Qu’est-ce que ça coûte de donner ? C’est juste ce que nous sommes censés faire.”

Judith Light et les tourments de l’Amérique

Depuis 2016, la carrière de Judith Light a pris un nouveau virage. Devenue l’une des muses du prolifique Ryan Murphy, on l’a vue dans l’anthologie American Crime Story sur les grandes affaires criminelles qui ont secoué les États-Unis et dans American Horror Story, mais aussi dans la mini-série Before avec Billy Crystal. Son prochain projet est The Terror, Saison 3, sur Prime Video. À croire qu’elle a développé une vraie passion pour l’horreur…

« Je ne considère pas ça comme de l’horreur. C’est tellement intéressant. Pour moi, ce qui compte c’est ce qui arrive aux personnages, comme avec Billy Crystal. C’est l’histoire de personnes qui ont une connexion d’âmes à travers les siècles. Qu’est-ce que cela signifie ? Pouvons-nous parler de réincarnation ? Comment nous sentons-nous à ce sujet ? C’est un sujet puissant, passionnant. Je ne l’ai jamais considéré comme de l’horreur. Et la saison 3 de The Terror parle de ces personnes enfermées dans un établissement et de la façon dont elles sont traitées. Ils maintiennent cette horreur en dehors d’eux, mais on voit aussi comment ils la domptent à l’intérieur. J’aimais ces personnages, je voulais les jouer. Ils étaient si extraordinairement représentés et écrits. Je ressens souvent que les projets viennent à moi parce qu’il y a quelque chose que je suis censée examiner en moi-même. C’est comme ça que je fais mes choix. » Tout sourire, Judith Light quitte notre petit groupe de cinq journalistes pour partir à la rencontre de ses nombreux fans.

Entretien: Karin Tshidimba, à Monte-Carlo

Nb: The Terror, série d’anthologie (2018), créée par David Kajganich et Soo Hugh, sera de retour en 2025 sur Prime Video. Produite par Ridley Scott, la saison 3, intitulée Devil in Silver, se déroule dans l’univers d’un hôpital psychiatrique. Il s’agit d’une adaptation du roman du même nom de Victor LaValle, écrite par ce dernier avec le scénariste Chris Cantwell (Halt and Catch Fire). La série mêle monde réel et éléments surnaturels terrifiants et mystérieux.