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Le Festival lillois a multiplié les hommages au créateur disparu en janvier dernier et démontré, à travers l’exposition “Forever 90’s”, son empreinte sur les séries d’hier et d’aujourd’hui

Dès la cérémonie d’ouverture, le Festival Series Mania a parsemé son programme de touches lynchiennes comme autant d’hommages au créateur disparu le 16 janvier dernier. En diffusant la partition envoûtante créée par Angelo Baladamenti pour la série Twin Peaks et en convoquant des images et chorégraphies inspirées de son univers. Trois artistes et créateurs ont été invités à évoquer les traces laissées par le maître dans leur parcours ou leurs œuvres, une conférence suivie d’une séance culte, (re)proposant les deux premiers épisodes de la célèbre série sur l’écran du Majestic.

Pour ceux qui auraient raté ces moments de poésie fugace, il reste une piste à exploiter d’ici la soirée de clôture de vendredi car une autre grande passionnée de David Lynch a reçu carte blanche pour mettre en lumière les graines semées par le maestro au fil d’un peu plus de quatre décennies. Charlotte Blum, inconditionnelle du grand Lynch et curatrice de l’exposition Forever 90’s, ne s’est pas fait prier pour relier entre eux les points de concordance d’univers créatifs singuliers.

X-Files, Buffy, le Prince de Bel-Air

Les années 90 ont notamment vu la représentation changer avec des séries comme « Le Prince de Bel Air » portée par Will Smith.

L’expo balaie toute la décennie de Twin Peaks (1990) aux Soprano (1999) en dressant la liste des nombreuses séries cultes qui ont marqué la pop culture : X-Files, Le Prince de Bel-Air, les Simpson,…

« Le premier objectif d’une expo est de faire plaisir aux gens qui visitent donc il faut qu’ils aient leur chouchou: Buffy, Friends, Une Nounou d’enfer, le Prince de Bel-Air,… Après, il faut que la curatrice se fasse plaisir aussi, donc il faut mettre Twin Peaks« , glisse-t-elle en guise de clin d’oeil. Une fois ce premier tri réalisé, l’idée était de voir « quelle série raconte des moments importants de l’époque avec des choses très fun (la mode) mais aussi des sujets politiques, des questions sociétales. Il fallait que toutes les séries abordées aient quelque chose d’intéressant à dire : homosexualité, racisme, représentation… Avec le côté féministe de Buffy, notamment, et le fait de placer des femmes dans des séries de genre… »

Autant de points de repère qui expliquent pourquoi on a choisi cette décennie. Au-delà de l’aspect ludique et participatif, l’exposition pointe la façon dont ces récits ont posé des jalons dans leur époque : les attitudes qui ont changé et les mouvements enclenchés grâce aux séries.

Pour donner vie à Forever 90’s, Charlotte Blum, aidée par une scénographe, et deux accessoiristes se sont lancés dans une quête géante d’objets d’époque : téléviseurs, téléphones, jeux vidéo, appareils photo, cassettes VHS, en bon état de marche… « Plus c’est farfelu, plus c’est osé, plus l’équipe de Series Mania était contente. J’ai jamais vu ça de ma vie, c’est génial. » En coulisses, de nombreuses école de la région se sont impliquées : maquillages, design, affiche, livret d’accompagnement… L’occasion de mettre leurs apprentissages en pratique.

De Beverly Hills 90210 à Yellowjackets

L’expo, à la fois immersive et participative, s’adresse aux enfants aussi bien qu’à leurs parents en tentant de rencontrer les rêves et fantasmes des deux générations. « Je pense toujours aux enfants de mes amis qui s’ennuient au musée. Il est hors de question qu’on s’ennuie dans mon expo. On a choisi des objets qu’on peut manipuler sans les casser, on peut s’asseoir, se déguiser, tourner un scénario de sitcom. En les voyant lire et essayer les jeux, je sais qu’ils sont en train de comprendre des choses. En rentrant, ils vont peut-être poser des questions à leurs parents qui ont vécu cette époque. Qui vont peut-être décider de leur montrer un épisode de Buffy ou d’X-Files. Et ainsi, on va créer un dialogue des générations. Et puis, on a réfléchi au fantasme du bal de promo, un événement très américain que l’on va adapter à Lille lors de la soirée de clôture », s’enthousiasme Charlotte Blum.

Le parcours devait forcément commencer par Twin Peaks. « Oui, il faut rappeler aux gens à quel point cette série a marqué les esprits. On retrouve des hommages à David Lynch dans tellement de séries : les Simpson, X-Files, les Soprano, Yellowjackets… Je sais que souvent quand je dis : Twin Peaks est la meilleure série, certains me rient au nez. Mais aujourd’hui, grâce à cette expo, je peux le prouver. Je me suis appliquée à montrer, captures d’écran à l’appui, des références directes à Twin Peaks, jusqu’à Brenda dans Beverly Hills. Ce n’est pas une vision de l’esprit de sériephiles forcenés. Il n’y a pas une série au monde qui a plus impacté l’audiovisuel que Twin Peaks et ça n’arrivera plus parce qu’il y a trop de séries aujourd’hui… »

D’autant que la globalisation du marché s’accompagne d’une grande crise d’audace. « Dans des séries comme The Leftovers, Lost ou Watchmen, on voit que certains ont repris ce flambeau et cette volonté de casser les codes. En se disant : peut-être que ça ne marchera pas autant qu’on voudrait, mais c’est tellement important de changer notre regard sur le monde. » C’est cela qui fait que la fiction est centrale dans nos vies.

La série « Buffy contre les vampires », portée par Sarah Michelle Gellar, a modifié la place des femmes dans les séries de genre.

La standardisation est la crainte la plus importante aujourd’hui surtout avec la manière dont les Etats-Unis se referment sur eux-mêmes. Cette surproduction fait que chaque série ne peut plus avoir le même impact parce qu’il y en a tellement que c’est beaucoup plus difficile de toucher le public.

Aucune IA n’imaginera jamais une série comme « Twin Peaks »

« Récemment la fille d’Ethan Hawke, Maya Hawke, qui joue dans Stranger Things, a dit que maintenant lorsqu’elle passe un casting, on lui demande combien elle a de followers. Si on sélectionne les comédiens en fonction du nombre de followers, il y a un gros problème. À l’époque de Twin Peaks et des Soprano, on prenait la bonne personne pour le bon rôle. On prenait des gueules, des gens différents. On s’est battu pendant 20-30 ans pour que tout le monde ait le droit de se montrer à la télévision et là, on recule, c’est terrible. Entre les castings par followers et les scénarios par l’IA, on va où, en fait ? Aucune IA au monde n’écrira jamais Twin Peaks », souligne Charlotte Blum.

Reste l’espoir de former le regard des générations actuelles et futures.

« A côté des séries d’aujourd’hui, on a placé des références aux séries d’hier avec un qr code pour savoir où les regarder. J’espère qu’on va former l’oeil et rendre le jeune public exigeant. De la même façon que David Lynch a formé Damon Lindelof (The Leftovers, NdlR), les séries d’aujourd’hui forment les scénaristes de demain. Il faut qu’on ait encore des trucs bien à regarder dans le futur. Il ne faut pas perdre cette qualité et cet étonnement face à des séries où on ne savait jamais bien où on allait. Aujourd’hui, les scénarios sont souvent balisés. La volonté de créativité faisait qu’on avait le droit de perdre un peu les gens, au début. Si on ne comprend pas tout, ce n’est pas grave. Lynch disait toujours : on ne comprend pas la vie, pourquoi voudrait-on comprendre la fiction. » D’autant que celle-ci nous relie à notre faculté de rêver…

Karin Tshidimba, à Lille

Le Festival Series Mania 2025 se clôt ce vendredi 28 mars à Lille.