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twin-peaks.jpgLa tentation est trop grande puisque l’univers de « Twin Peaks » a été mentionné à deux reprises ces derniers jours (dans le documentaire L’Amérique en prime time*** diffusé ce samedi sur Arte et comme influence reconnue par Fabrice Gobert, créateur des Revenants*** sur Canal+) d’y revenir quelques instants encore.

Une ville isolée, des paysages faussement paisibles, une musique envoûtante et soudain, le meurtre d’une innocente jeune fille, Laura Palmer, et l’agression d’une autre, Ronette Pulaski… Un lourd parfum de mystère, une forêt vécue comme une menace vivante, où sévissent de furieux détraqués, des habitants aux profils pas très nets… Il n’en faut pas plus pour que Twin Peaks*** impose sa lourde atmosphère. Ajouter à cela, Dale Cooper, agent du FBI envoyé spécialement sur place pour résoudre cette affaire et l’on déclenche, en un temps record, une avalanche de méfiances, de ressentiments et de peurs diffuses qui se développent d’autant mieux que tout ce petit monde – la femme à la bûche, l’homme venu d’Ailleurs, la femme borgne, Big Ed, etc. – assiste à une succession de phénomènes inexpliqués…

Ce qui précipita la chute de « Twin Peaks » en 1991, c’est l’obligation faite à David Lynch, peu après le début de la saison 2, de répondre à la question au cœur du mystère initial, à savoir « Qui a tué Laura Palmer ? » La suite de la série s’en trouva forcément fragilisée, même si le créateur de génie parvint à dérouler une dizaine d’épisodes dans la foulée. Une fois le voile en partie levé, difficile de maintenir le cap du suspense dans cette ville décidément trop hors normes pour le téléspectateur américain moyen.

Vingt ans après, il n’en va plus de même et le téléspectateur européen, a fortiori, le passionné de séries, est rompu aux intrigues alambiquées, aux citoyens faussement innocents et aux héros (de lycée) joyeusement dépravés. En passant en revue les séries les plus récentes, on ne peut s’empêcher de pointer les multiples influences de Twin Peaks, même si aucune série n’a tenté, depuis, une synthèse aussi complexe.

Comme « Le Prisonnier » avant elle, « Twin Peaks » provoqua en effet un véritable vent de folie avant d’être peu à peu délaissée et finalement déprogrammée. Passion et rejet sont d’ailleurs l’apanage des séries cultes. Comme dans « Lost », l’univers de « Twin Peaks » prend peu à peu le pas sur l’intrigue, au risque d’égarer ou de décevoir ses téléspectateurs. En cela, elle est la « série-mère » par excellence. Avec son intrigue par strates et ricochets qui semble devoir former des ronds de plus en plus larges et profonds sur la surface faussement lisse de cette petite ville des Rocheuses.

Impossible de ne pas évoquer la filiation de « Twin Peaks » avec la série « X-Files » où de nombreuses vérités sont également dissimulées, mais cette relation n’est que la première d’une longue liste. Le mythe de la blonde et pure jeune fille du fin fond des Etats-Unis renvoie à la comédie des apparences que dénonce un autre « soap » revisité à la sauce thriller : « Desperate housewives », même si ce dernier préfère l’humour au fantastique, et ne s’est pas fixé le même cap d’exigence.
« Twin Peaks », c’est aussi l’autopsie décadente d’une cité ordinaire, flambeau repris par d’autres séries après elle: « Friday night lights », « Mad Men », « Carnivale ». Avec, dans le cas de cette dernière, une galerie de personnages également digne des « freaks » de la grande époque.

Enfin, suspicion, terreur et tueurs en série sont au cœur de presque toutes les séries policières aujourd’hui (« Dexter », « Mentalist », « Esprits criminels », mais aussi « The Following » et « Hannibal » attendus en 2013). Une peur ancestrale habilement maniée par David Lynch et son complice Mark Frost. Pour les traquer, l’agent Dale Cooper (Kyle MacLachlan) aux tics curieux et aux reparties et méthodes imprévisibles, a (presque) imposé un autre style incontournable: le détective tendance « freak », une piste suivie par « Monk », « Life », « The Mentalist » et tant d’autres après eux.
En fait, sans l’abondante source d’inspiration offerte par cette ville imaginaire et fantasmée, des tas d’intrigues n’auraient sans doute jamais vu le jour…
KT

Rediffusée sur Arte en avril 2011, la série est disponible en DVD