Dans la série « De Grâce », à voir ce jeudi sur Arte, le comédien belge campe un patriarche aux pieds d’argile, un docker tentant de sauver son âme face aux ravages des trafics dans le port du Havre.
Il prête sa voix de baryton et son souffle profond à De Grâce. Une voix off, semée de silences, qui égrène les jours et sonde les entrailles de la famille Leprieur, entre figure paternelle de probité inaccessible flottant sur le port du Havre, et fratrie versée dans les petits trafics et un sombre déni.
L’empreinte du drame
Cette voix spectrale ramène Olivier Gourmet (Une intime conviction) à un travail qui tient de l’expérience théâtrale. Celle qui est à la base de son parcours de comédien. « Au Conservatoire, il y avait un trimestre entier consacré uniquement à la déclamation. C’était un passage obligé. J’ai retrouvé ce travail-là : prendre un texte, le rendre vivant. Même si ce n’est pas du théâtre, on raconte une histoire en y mettant des intentions, de la vie, des silences, des accélérations. »
À rebours de son image de colosse aux pieds d’argile, l’acteur belge est très souriant, affable, hésitant, réfléchi, cherchant le mot juste pour exprimer son ressenti. On a le sentiment d’avoir toujours croisé sa carrure et sa mine singulière dans des drames. Un goût pour le polar et les trames sociales qui le rend fidèle à cet univers, plus qu’à la comédie ?
(Il sourit). « J’ai fait une ou deux comédies où je me suis amusé aussi. J’ai tourné, avec Benoît Poelvoorde, La Couleur de l’incendie où j’étais beaucoup plus dans la caricature d’un personnage. Je me suis amusé, parce qu’on savait où on allait et qu’il y avait un plaisir de l’exagération. Mais quand je lis le scénario de La Couleur de l’incendie ou celui de La Promesse, je suis beaucoup plus ému à la fin de la lecture du second que du premier. C’est ma sensibilité. Ce n’est pas spécialement une question de fidélité, mais ce sont des atomes crochus avec le drame social, avec ce qui m’émeut. Avec des gens comme Ken Loach, qui est parfois plus léger que les frères Dardenne et que j’aime beaucoup. Il y a des films dont je sors secoué, mais heureux et sensibilisé. C’est mon ADN, on va dire… » Ces récits résonnent aussi avec ses origines rurales.
Solidarité et contrôle social
L’originalité de la série De Grâce tient au mélange d’univers. « Il y a à la fois le polar, le western, la tragédie grecque ou un côté shakespearien, j’évoquais le Roi Lear. Plutôt que le résultat soit kitsch, ne s’imbrique pas et soit raté, le mélange fait sa singularité. Il y a beaucoup de personnages et la série permet de les développer davantage que dans un film. C’est une tragédie familiale mais – et c’est toujours important, pour moi – elle est ancrée dans une réalité sociale. Il y a des scénarios que vous lisez et dès que vous les refermez, vous vous dites : OK, je le fais parce que, simplement, comme lecteur, vous avez été touché, ému, séduit. Les personnages me touchent, leur condition me touche, ce qui les traverse, ce qu’ils racontent, l’histoire dans sa globalité me touche. »
La place des dockers dans la société, le rôle des syndicats, la pression exercée sur les dockers sont au cœur du récit imaginé par Maxime Crupaux et Baptiste Fillon, formidablement mis en images par Vincent Maël Cardona. « De fait, les dockers ne sont pas des trafiquants puisqu’ils sont menacés. Il y a une sorte de chantage qui pèse sur eux. Et puis, comme disait Vincent, quand vous avez 20 ans et qu’on vous propose une somme d’argent importante pour juste bouger un conteneur de place ou l’amener sur un camion, vous fermez les yeux et vous ne vous sentez pas vraiment trafiquant. »
Cet univers singulier tient aussi au syndicat des dockers centré sur une seule entité. « Il est devenu d’autant plus puissant que tout le monde se connaît dans la ville. Et comme le disait un des auteurs, le patron du syndicat des dockers a un poids certain, une influence dans la ville du Havre. » Des liens souterrains que la minisérie explore au fil de ses 6 épisodes.
Travailler le temps long
De Grâce n’est pas la première expérience de série d’Olivier Gourmet mais, cette fois, les enjeux étaient particuliers. « Ce n’était pas évident comme formule et comme rythme. J’ai fait une autre série pour Arte, Moloch , où j’étais beaucoup plus présent. Je me sentais davantage impliqué dans le processus parce que j’étais là presque tous les jours. Ici, c’était très éclaté et comme il y a beaucoup de personnages et que Pierre Leprieur, à un moment donné, est moins présent, j’ai eu beaucoup de temps morts, entre les jours de tournage. C’est assez compliqué de partir et revenir et c’est parfois un peu frustrant. En même temps, la série permet d’aller plus en profondeur et de vivre plus avec leur psychologie. Sur la longueur, c’est une expérience un peu similaire à celle du théâtre où les personnages sont, souvent, non pas « plus aboutis », mais davantage traités sur la longueur. »
Toutefois, l’expérience l’a emballé. « Vincent fédérait tout le monde et avec le chef opérateur Brice et la scripte, ils formaient un vrai trio de mise en scène. On sentait une volonté de qualité, une ambition artistique, sur l’écriture et le cadrage. L’envie de bien faire les choses, en prenant le temps. Avec un grand nombre d’heures supplémentaires annoncées dès le départ », souligne-t-il en riant.
Pressentir l’ambition artistique
« De toute façon, chaque expérience, qu’elle soit bonne ou mauvaise, vous nourrit, vous façonne, vous aguerrit. Chaque expérience est enrichissante et contribue à faire de vous ce que vous êtes. Évidemment, il faut essayer de faire les bons choix et de travailler avec des gens respectueux, qui ont une vraie ambition artistique. » Un discernement qui a lieu au moment de la lecture et des rencontres avec le réalisateur. « Pour ne pas s’égarer dans des choses où vous seriez malheureux. C’est une question d’intuition et je fais attention à ça parce que je n’ai pas envie de m’ennuyer ou de souffrir. »
Éviter les humeurs des réalisateurs
Ainsi, il y a des réalisateurs dont Olivier Gourmet aime le cinéma, mais avec lesquels il ne travaillerait pas, reconnaît-il. « Ça m’est déjà arrivé de dire non. À cause de leur façon de travailler. Parce qu’on a entendu, de personnes sûres, qu’il y a un manque de respect ou une certaine violence qui s’installe pendant les tournages. Et, sincèrement, je n’ai pas envie de faire ce métier pour subir les humeurs ou les caprices d’un réalisateur. Parce que la fin ne justifie pas les moyens, quoi qu’il arrive. » Venant d’un homme de sa stature, le constat étonne. Nul n’est donc à l’abri…
Reste à savoir quels sont les projets qui occupent son esprit…
« Je suis assez excité à l’idée de travailler avec Maxime Roy, qui a fait Les Héroïques, une comédie ancrée dans une réalité sociale. J’avais beaucoup aimé ce film. Je n’ai pas encore de date, mais c’est une tragicomédie, une comédie sociale comme je les aime, avec Vincent Macaigne. L’histoire de deux amis qui sont plutôt des bras cassés. Et moi, je joue un bonhomme assez rond et alcoolique. Un peu paumé. Il y a beaucoup de choses à développer sur ce personnage. En tout cas, il me touche socialement et psychologiquement. C’est le milieu de la débrouille. Ils ne sont pas SDF, mais chômeurs et ils essayent de joindre les deux bouts. »
Des scénarios mort-nés
« Ça m’est arrivé de dire oui à des films qui, au bout du compte, ne se financent pas. » Il garde ainsi deux scénarios mort-nés dans son placard. « Parce que je garde un exemplaire de scénarios de tous les films que j’ai tournés, au grand désespoir de mon épouse. Mais aussi de ceux que j’ai aimés et qui ne se sont pas tournés. Comme L’homme au costume de tweed. On voit tellement de choses que – je n’aime pas dire ça, mais – qui ne devraient pas se faire, selon mon goût personnel. Et puis, je me dis ce film-là, personne ne l’a financé. Pourquoi ? C’était vachement bien, mais je peux me tromper… En tant que spectateur, on a le droit de penser ce qu’on veut de toute façon. » Il sourit.
Entretien: Karin Tshidimba
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