Selon le réalisateur césarisé, la série « De Grâce », ancrée dans le milieu des dockers du Havre, interroge le consumérisme et la démesure de nos sociétés.
Cette plongée dans l’univers sériel, à laquelle il n’avait pas forcément songé, Vincent Maël Cardona l’a visiblement vécue avec beaucoup d’enthousiasme et de rigueur. “J’étais plus dans la logique d’enchaîner avec un nouveau film mais je savais que travailler avec Arte m’offrirait une belle liberté. Et puis, faire une série au Havre sur les dockers, c’était deux éléments très intéressants. Le Havre est un endroit qui me fait rêver depuis longtemps. J’étais déjà venu en repérage dans le quartier des Neiges”, quartier historique des dockers qui joue un rôle très important dans la série.
“L’architecture Perret – du nom d’Auguste Perret qui a rebâti la ville après la guerre mais est né à Ixelles, NdlR –, peut être rebutante au premier regard mais les images sont porteuses de lignes très belles. J’avais les images des films de Melville en tête. Finalement, dans les bâtiments Perret, il y a un ocre qui ressort, dont on s’est beaucoup servi dans le cadre, ce n’est pas du tout une ville grise. Il y a beaucoup d’éléments symboliques qui renvoient à la lutte industrielle mais aussi à des images de trafic de drogue et de fin du monde, avec des ambiances poisseuses façon Voyage au bout de l’enfer ou le documentaire de Wang Bing, À l’Ouest des rails.”
L’appel du Havre
Avec ce projet, Vincent Maël Cardona a pu cerner la grande différence entre film et série. “Dans un long métrage, il y a toujours une grande trajectoire unique qui se développe, alors que la série ne se pense pas du tout de la même manière, il y a vraiment une logique d’arches, selon les différents personnages. Chaque arche est comme une mèche et cela se tresse, cela donne énormément de possibilités au moment du montage. C’est passionnant parce qu’il y a beaucoup de scènes, de décors et de registres très différents.”
Deux jours auparavant, le réalisateur a tourné “des scènes d’ampleur dans les hangars avec une très belle figuration anversoise, des visages très intéressants, auxquelles succèdent aujourd’hui des moments à deux voix. On a le personnage de Philippe Rebbot en cowboy mystérieux et personnage maudit, des scènes de fusillade, d’autres qui tiennent de la magie,… À faire, c’est passionnant. Et puis, c’est un stage commando, on apprend plein de trucs”, confie le cinéaste.
Une communauté solide et unifiée
Tourner au Havre ou dans un port comme Anvers n’est pas qu’un fantasme personnel, insiste -t-il. “Il y a quelque chose qui nous attire tous. Les dockers sont une communauté ouvrière très solide et unifiée, qui jouit d’une situation professionnelle et syndicale assez unique, avec des possibilités très fortes de défendre leurs intérêts. Les corporations de dockers sont très puissantes partout sur la planète. Et puis, les métiers de la mer nous fascinent tous. Il y a à la fois l’idée du voyage et la démesure des hommes sur le quai, face aux machines. La dimension internationale des équipages, les pavillons, c’est déjà de la fiction…”
Face à ce côté traditionnel et ancestral, il y a aussi des volumes effrayants et démesurés, “le port est un rouage ultra déterminant de la mondialisation. On se demande comment inverser cela… Se situer dans cet environnement-là me semble très pertinent. Aujourd’hui, face à un container, on ne se pose pas les mêmes questions, on sait que c’est un des symptômes du mal dont on souffre, un symptôme de l’ancien monde. Or la série interroge le consumérisme et la démesure face au poids d’un clan et à la disparition d’un patriarche”.
Ce premier essai sériel ne restera sans doute pas sans suite. “Je ressens une forte curiosité pour le format, c’est un endroit d’inventions et de possibilités assez grandes. Le public recherche des formes différentes, il y a une grande montée en exigence. C’est une très bonne nouvelle pour nous qui les fabriquons, cela nous permet d’oser.”
Entretien: Karin Tshidimba, à Anvers
Photos: Alexandra Fleurantin (Arte)
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