L’équipe de La Trêve revient avec sa nouvelle création : Des gens bien***. Une série en six épisodes qui se joue notamment de nos relations absurdes avec nos voisins français. Un itinéraire imaginé en huit étapes (vidéo)

Cette série est un nouveau pari. On aurait pu faire une saison 3 et une saison 4 de La Trêve, c’est un projet qu’on a adoré et qui nous a beaucoup apporté. Si cela ne prenait qu’un mois, on aurait continué… On s’est posé la question de savoir comment on allait retravailler à trois. Et un de nos objectifs était de rencontrer de nouvelles personnes », explique Matthieu Donck, réalisateur et coscénariste de la série belge. Sur ce plan-là, le pari est tenu, il y a en effet beaucoup de nouveaux venus, Belges et Français, dans la série Des gens bien , au-delà du duo Bérangère McNeese et Lucas Meister : India Hair, Dominique Pinon, Michaël Abiteboul, Peter Van den Begin, Corinne Masiero, François Damiens…

Qui dit nouvelle série, dit aussi nouvel univers, nouveaux personnages, nouvelle thématique, nouvelles influences. Une suite de décisions, prises en cascade, qui mène à une toute nouvelle recette. Ce cheminement, nous l’avons retracé en compagnie du trio de créateurs : Stéphane Bergmans, Benjamin d’Aoust et Matthieu Donck.

1. Rester en Belgique, après un succès international

« On voulait à nouveau se mettre au défi et le fait d’avoir Arte comme coproducteur, cela impliquait d’autres regards sur notre travail, d’autres expériences. L’ambition est de s’ouvrir vers l’étranger, mais on voulait continuer à travailler en Belgique, précise Benjamin d’Aoust. On voulait pouvoir travailler notre écriture et nos envies cinématographiques avec plus d’ambition et se permettre de mieux payer les gens. On reste dans une configuration de financement serré même si la coproduction ouvre une manne plus importante et plus de possibilités. »

Benjamin d’Aoust sur le tournage de La Trêve saison 2

Le succès de La Trêve a fait que le trio a reçu de nombreuses propositions pour produire des fictions ailleurs, « mais cela voulait dire ne plus travailler avec les comédiens d’ici, et ça, on n’en avait pas envie, poursuit Matthieu Donck. Il y a quinze ans, après nos études, on serait partis sans se poser de questions, mais, aujourd’hui, on est hyper contents de voir toutes les séries qui ont suivi La Trêve et le rayonnement international des séries belges. On a vécu ce succès local de façon complètement folle en découvrant des pays où on ne savait même pas qu’ils pouvaient voir notre série et en recevant des messages incroyables venus de très loin. » Le succès du « Belgian Noir«  est tel que, même avec moins de moyens, le trio veut rester en Belgique.

2. Travailler avec Arte, pour changer de regard et élargir le champ de création

« Toutes les personnes qui créent des séries, créent aussi des manières de les produire. On en a inventé une », poursuit Benjamin d’Aoust. Le nœud du problème reste la vitesse de production. « Le fait d’avoir plus d’argent permet de mieux payer les gens mais aussi d’avoir des journées un peu moins longues. Ce qui, dans la façon de pérenniser un travail, est très important, parce que La Trêve 1 , on l’a faite avec l’énergie du court métrage. C’était génial mais épuisant. Ce genre d’énergie, tu la donnes une fois, pas quinze. L’idée de rester ici, tout en ayant un meilleur budget, permet de ne pas épuiser les gens. »

Stéphane Bergmans sur le tournage de La Trêve saison 2

 » Des gens bien est à l’image de notre collaboration avec Arte puisqu’on a un pied ici et un pied ailleurs avec cette série qui se déroule sur la frontière franco-belge« , précise Stéphane Bergmans.

3. Se jouer des frontières entre France et Belgique

Cette histoire transfrontalière existait-elle au début ou est-elle née de la production avec Arte ?
« Arte ne nous a rien imposé, c’était cela le deal, car on a évidemment rencontré plusieurs chaînes. Arte a une vision très proche de celle de la RTBF. Ils se sont très bien entendus. On avait prévu, dès le départ, de jouer sur cette idée de frontières et sur cette relation entre Belges et Français », précise Matthieu Donck. « Cela nous a peut-être permis d’aller chercher des comédiens français plus facilement car le nom d’Arte est effectivement un gage de qualité« , note Benjamin d’Aoust.

4. Trouver le bon duo pour camper les sympathiques Tom et Linda

Même s’ils connaissaient déjà Bérangère McNeese et Lucas Meister, qui apparaissait dans La Trêve saison 2, le trio dit avoir « rencontré » les deux personnages principaux, Tom et Linda, au casting, après avoir testé de nombreux duos de comédiens. « C’est super parce que, tout à coup, on a réalisé qu’ensemble, ils fonctionnaient super bien. C’était chouette de voir comme tout le monde trouvait leur couple touchant et attachant. » Cette empathie immédiate est le premier atout de cette nouvelle fiction belge.

5. Sonder les souhaits des gilets jaunes, « des personnes qui se sentent oubliées »

Cette histoire d’arnaque à l’assurance est-elle née d’un fait divers ou le fruit de votre imaginaire ?
« L’idée est née d’un brainstorming. Cela vient aussi d’un fait divers et de l’histoire de mon oncle, expert en assurances, précise Matthieu Donck. On a récolté des tas d’anecdotes auprès de lui mais, finalement, on en a inventé d’autres. L’idée était de parler des gilets jaunes et des personnes qui se sentent un peu abandonnées par la modernité. » Mais aussi de la frontière qui crée une zone de flou pour ses habitants les plus proches.

« On se demandait si on allait faire une série de divertissement ou une série avec du fond. On ne voulait pas trancher, précise Benjamin d’Aoust. Il n’y a aucune revendication politique dans la série, mais cette histoire d’arnaque nous permettait de nous inscrire dans un terreau tout en faisant du divertissement. Il y a beaucoup de second degré, de décalage et d’humour dans la série. C’est un mélange de burlesque et de thriller, mais il s’inscrit dans une zone réelle. »

6. Célébrer Billy Wilder et les frères Coen

Le but du trio est d’essayer de raconter une histoire très ancrée de façon décalée et extraordinaire. « C’est le principe des films des frères Coen, de I, Tonya et de 3 Billboards. Parmi nos influences, il y a les films Double Indemnity de Billy Wilder, un film noir des années 40 avec beaucoup de mystères et I, Tonya, pour le visuel des années 90, le côté shakespearien et l’humour. L’idée est de glisser de vraies scènes de comédie dans un contexte social proche des gilets jaunes et de tout mélanger. On peut raconter une histoire extravagante avec des éléments de comédie qui évoluent vers le drame et être touché par les personnages malgré, ou grâce à, tous les artifices dignes du divertissement », explique Matthieu Donck.

7. Appliquer à la création de série les recettes de l’artisanat

Finalement, la seule chose qui n’a pas changé, entre les deux séries, c’est leur travail à trois.
« On n’a pas tellement changé notre façon de travailler, analyse Stéphane Bergmans. On est tout le temps à trois sur le plateau. C’est notre façon de faire, même si elle n’est pas complètement rentable… »

« On a un mode de fonctionnement moins formaté que celui qui existe dans le monde des séries, poursuit Benjamin d’Aoust. Parfois, dans certaines productions, on voit que les choses sont un peu carrées et qu’il y a moins de liberté, avec un mode de fonctionnement très hiérarchisé. Nous restons dans un processus artisanal, de l’écriture à trois jusqu’à la réalisation : Matthieu dirige, je cadre et Steph est scripte. »

8. Explorer les multiples possibilités de la série

Les créateurs ont déjà exploré différents modes d’expression – cinéma, BD, théâtre… – seuls ou en duo. Mais le trio a « attrapé le virus de la série qui offre un champ gigantesque de possibilités. C’est passionnant de pouvoir collaborer à plusieurs« , souligne Matthieu Donck.

Les histoires Des gens bien sont potentiellement prolongeables dans une saison 2… « On reste plus attachés au duo principal, souligne Matthieu Donck. Tout est très différent de ce qu’on a fait dans La Trêve. On s’est vraiment jetés à l’eau. On avait peur que les gens soient déçus parce que ce n’était plus la même recette, mais, quand le Festival Séries Mania nous a appelés pour y présenter la série, on était très heureux. »

« Ce sont des séries cousines en termes de territoire. On n’est pas loin d’Heiderfeld, filmé dans La Trêve, même si la façon de raconter cette histoire est très différente », note Benjamin d’Aoust. La saison 2 de la série Des gens bien est déjà en cours d’écriture.

Entretien: Karin Tshidimba