La croissance rapide du nombre de séries produites suscite des craintes de pénuries d’auteurs et de comédiens. Analyse avec Stéphane Strano, le président du Festival de la Fiction TV de La Rochelle.

l y a du monde sur la photo souvenir du Festival de la Fiction TV de La Rochelle 2022. Avec près de 2800 professionnels accrédités, la 24e édition a affiché une participation record, en hausse de 30 % par rapport à l’an dernier. L’événement, qui marque traditionnellement la rentrée de l’audiovisuel francophone, n’a pas dérogé à la règle et a attiré, du 13 au 18 septembre, acteurs, comédiennes, productrices, distributeurs, réalisatrices et scénaristes, désireux de faire connaître leurs projets, présents et à venir. Venus en nombre, ces professionnels n’ont pas manqué de faire résonner leurs espoirs et de partager leurs difficultés. Ainsi, l’an dernier déjà, 300 producteurs de cinéma étaient venus à La Rochelle pour évoquer leur problème de postes à pourvoir.

Zone de concurrence accrue

Si le secteur est en pleine expansion – avec des diffuseurs tels qu’Amazon et Netflix présents à La Rochelle pour la première fois -, “il est aussi soumis à un certain nombre de turbulences”, a rappelé Stéphane Strano, président du Festival.

1300 heures de fiction produites chaque année en France

Les chiffres fournis par le Centre national de la cinématographie (CNC) indiquent, pour 2021, une augmentation du volume de fiction de 37,7 % en France par rapport à 2020. “En une décennie, on est passé de 700 heures de fiction par an à 1300 heures. Nous franchirons, d’ici trois ou quatre ans, la barre des 1500 heures. Et on sera très vite à 2000”, prédit Stéphane Strano, par ailleurs producteur. Pourtant le rythme de création reste encore trop lent, en France comme en Belgique, avec une moyenne de deux ans pour la production d’une nouvelle saison. En cause : une pénurie de scénaristes, réalisateurs et techniciens.
Cette crise de croissance était la thématique centrale du Festival 2022, avec une question sous-jacente : comment fabriquer autant d’heures de fictions pour répondre à la demande ? “C’est l’une des raisons qui expliquent notre idée de créer un centre à La Rochelle pour former de futurs scénaristes en collaboration avec le CEEA (Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle, NdlR). Nous allons préparer 12 scénaristes supplémentaires – au fil d’une formation de deux ans – qui s’ajouteront aux 24 formés chaque année à Paris. Avec possibilité de formation plus courte pour ceux qui viendraient du théâtre ou du cinéma”, explique Stéphane Strano. Le secteur manque en effet d’auteurs et de comédiens.

Cultiver l’authenticité pour séduire à l’étranger

“Les nouveaux entrants – notamment, les plateformes internationales – sont capables financièrement de capter quasi définitivement des auteurs. On entre dans une nouvelle ère qui va voir certains de nos comédiens partir à des tarifs exorbitants si bien qu’ils ne seront plus accessibles pour la télévision française. Il faut veiller à tout cela car on sait qu’avec cette crise de croissance, il y aura un certain nombre de difficultés à surmonter…”

Quelle que soit la concurrence, la philosophie du Festival reste inchangée, souligne Stéphane Strano : “tabler sur la création française et francophone. On a vu que cela intéresse les étrangers lors des Rendez-vous de la création francophone, avec 19 investisseurs qui misent sur la fiction en langue française. Le reste du monde trouve cela glamour de dire “je t’aime” en français. La fonctionnalité internationale est celle-là : stimuler ceux qui sont à l’intérieur et donner envie à ceux qui sont à l’extérieur (et qui apportent des financements complémentaires) de venir travailler avec nous. En étant nous-mêmes, on est naturellement internationaux. Avec Gomorra, série en dialecte napolitain, les Italiens ont fait le tour du monde. C’est un principe magique : plus on est nous-mêmes, plus on est attirants”, insiste Stéphane Strano.

Quelque 20 000 spectateurs se sont pressés dans les salles rochelaises pour découvrir les fictions françaises, européennes et francophones qui s’apprêtent à marquer l’automne et l’hiver 2022. Et le secteur ne cesse d’attirer de nouveaux talents. On annonce ainsi Virginie Efira à l’affiche de Tout va bien, prochaine série Disney imaginée par Camille De Castelnau et produite par Eric Rochant, avec Nicole Garcia, Sara Giraudeau et Mehdi Nebbou. Tandis que Nicolas Bedos prépare Alphonse, sa toute première série à l’affiche de laquelle il retrouve Jean Dujardin, mais aussi Pierre Arditi et Charlotte Gainsbourg. A venir sur Amazon en 2023.

Entretien: Karin Tshidimba, à La Rochelle