La productrice Julia Sinkevych, présidente du jury de la compétition internationale de Séries Mania, est venue à Lille pour faire entendre la voix du peuple ukrainien. Elle a souligné que la résistance face à l’envahisseur passe aussi par l’art.
L’émotion était très forte lors de son arrivée sur scène, à Lille, pour endosser le rôle de présidente du jury de la compétition internationale de Séries Mania. Un choix doublement symbolique destiné à marquer le soutien du festival à l’un des plus importants rendez-vous d’Europe de l’Est, le Festival international du film d’Odessa, dont la productrice ukrainienne Julia Sinkevych a été pendant dix ans la directrice et “témoigner ainsi du rôle des festivals dans un monde en crise”.
L’engouement de la population pour les films et les productions ukrainiennes ou le regain d’intérêt pour l’apprentissage de la langue ukrainienne en attestent : un peuple se défend et se définit d’abord à travers sa culture. C’est le message que Julia Sinkevych a contribué à faire passer en transitant via la Pologne – au terme d’un périple de deux jours qui a permis à sa famille de quitter Kiev et de s’installer à Lviv – afin de prendre un vol pour la France.
Je suis venue porter la voix du peuple et des artistes
“Je vais rentrer en Ukraine dès la fin du festival, a annoncé d’emblée la présidente. Car nous devons poursuivre la lutte contre la barbarie.” Julia Sinkevych ne cache pas qu’elle a hésité à quitter son pays où elle aide et accompagne désormais les équipes de reporters venus témoigner de la réalité de la guerre en Ukraine. Même si elle est active dans le milieu de l’audiovisuel depuis 12 ans, c’est un changement de fonction radicale pour celle qui est une productrice reconnue, cofondatrice de l’Académie ukrainienne du Film et membre de l’European Film Academy.
“La guerre nous paralyse et nous glace d’effroi mais être présente ici permet qu’on n’oublie pas le sort de mon pays, de ses habitants et ses créateurs quels qu’ils soient. Car cette guerre n’a pas commencé en février, elle était déjà présente dès l’indépendance de l’Ukraine en 1991 et encore plus depuis l’annexion de la Crimée par la Russie et l’invasion de l’est de l’Ukraine, en 2014. Cette volonté d’occuper et annexer l’Ukraine a toujours existé.”
Aujourd’hui, les Ukrainiens sont inscrits dans un mode de survie “mais certains projets sont en train de se mettre en place. Des cinéastes documentent et filment la situation en Ukraine et mettent leurs images à la disposition des médias internationaux. Ces images serviront plus tard de base à des projets documentaires” souligne Julia Sinkevych.
Attachée au Festival Séries Mania, où elle était déjà venue en 2019, la jeune productrice était convaincue que l’événement lui permettrait de faire entendre sa voix. Et les nombreuses interviews données prouvent qu’elle ne s’est pas trompée.
Le Wikipédia russe a déjà annexé de nombreux talents ukrainiens !
L’occasion pour elle de rappeler que le combat du peuple ukrainien passe notamment par la défense de toutes les productions indépendantes, nées et imaginées sur son territoire. “La culture est un enjeu majeur, un outil de lutte contre la propagande russe. Aujourd’hui déjà, si vous regardez sur le Wikipédia russe, vous verrez qu’un certain nombre d’artistes ont été “annexés” par la Russie. Leur nationalité ukrainienne a été effacée. C’est le cas de la réalisatrice Kira Mouratova, morte en 2018, par exemple… Elle est née à Odessa, y a vécu et y est morte, elle n’a jamais été russe ! Même mon grand-père, qui était sculpteur, est renseigné comme russe, alors qu’il ne l’a jamais été ! Quand vous voyez toutes ces mosaïques magnifiques, arrachées à nos cathédrales et montrées dans des musées en Russie. C’est du vol pur et simple !”
Tous ces exemples prouvent que le combat ne se mène pas seulement dans les rues mais aussi dans les esprits. “Au-delà du boycott des produits russes, qui permettent de financer la guerre, il faut lutter pour que la créativité ukrainienne soit reconnue à l’étranger”, insiste Julia Sinkevych qui compte bien reprendre son bâton de pèlerin au moment du festival de Cannes, si cela s’avère possible.
Bien qu’encore jeune, l’industrie cinématographique ukrainienne était en plein essor juste avant la guerre et de nombreux films ont été primés dans des grands festivals comme Cannes, Venise ou la Berlinale. “L’Ukraine est membre de différents programmes européens. Nous sommes considérés comme des partenaires fiables pour les coproductions également. C’est un territoire qui reste à découvrir mais nous avons des histoires passionnantes à raconter…” souligne-t-elle.
Tout le monde espère pouvoir se remettre rapidement au travail
Au moment du déclenchement de l’invasion russe, Julia Sinkevych planchait sur un biopic : “le portrait de Lessia Oukraïnka, la plus grande poétesse de notre pays, une femme extrêmement moderne du début du XIXe siècle qui parlait neuf langues et voyageait énormément.” Un projet endormi aujourd’hui.
Reste à voir si les créateurs ukrainiens pourront retrouver des financements quand la paix reviendra. “Et si les dommages dans la ville ne seront pas trop importants. Nous avons l’habitude de travailler avec des budgets très faibles et nous avons une communauté de cinéastes très forte, au-delà de nos petits différends. (Elle sourit) Même ceux qui sont partis, ont l’intention de revenir. Tout le monde espère pouvoir se remettre rapidement au travail car cela voudra dire que cette guerre appartient au passé. Et il y a une grande demande de films ukrainiens afin de mieux connaître notre culture et en guise d’actes de soutien.”
Entretien: Karin Tshidimba, à Lille
nb: Avec plus de 70 000 participants à son édition 2022 et 3300 personnes accréditées au Forum, originaires de 64 pays, Séries Mania a inscrit de nouveaux chiffres records dans son livre d’or. Le site Séries Mania et la plateforme Séries Mania Digital ont enregistré 260 000 vues cumulées.
mise à jour (30.03): La prochaine édition de Series Mania aura lieu à Lille du 17 au 24 mars 2023.
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