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Capturant la beauté et la fragilité des premiers émois, la série propose une belle ode à l’amour flou, tout en filmant les différences sociales qui stigmatisent et isolent parfois… A voir le lundi à 21h, sur France 5 ou en intégralité sur France TV Slash.

Difficile de faire plus différents que ces deux-là. Marianne (Daisy Edgar-Jones) a un avis sur tout. Connell (Paul Mescal) doute et hésite beaucoup. De son propre aveu, la lycéenne est « agaçante, pinailleuse, arrogante, cassante et parfois même méprisante ». Lui, en revanche, est plutôt cool, populaire et, en même temps, plutôt discret et réservé. Marianne est aussi directe et franche que Connell est taiseux et circonspect. Mais sous la carapace, une même solitude les habite.

Dans ce lycée du comté de Sligo, niché dans la campagne nord-irlandaise, Marianne fait office d’outsider, à la fois trop intello et trop riche, avec sa grande maison bourgeoise, pour ne pas s’attirer les commentaires malveillants. Quant à Connell, sa passion des livres l’isole parfois du reste du groupe. Pourtant lorsqu’ils se rapprochent enfin, leur relation fait rapidement des étincelles. Mais Connell a peur du regard des autres et Marianne accepte cette relation cachée. Sur cette béance liminaire, Sally Rooney bâtit un récit riche et sinueux, profondément humain, qui a d’abord séduit en librairie.

Au-delà des différences et des apparences

Normal people**** s’intéresse aux différences sociales, culturelles et familiales qui peuvent miner une relation, singulièrement lorsqu’il s’agit de deux jeunes en quête d’eux-mêmes. L’histoire suit leur parcours étudiant, du lycée à la fin de l’université, avec ses moments de doute, de découragement, ses déceptions et ses embrasements soudains. Elle séduit par sa délicatesse et sa densité, rendant grâce à la profonde communion de deux êtres, au-delà des mots et des regards incrédules.

En 2018, le public s’est rapidement passionné pour cette histoire d’amour tortueuse, entachée par de la fierté mal placée et quelques malentendus, mais aussi par un problème criant d’estime de soi. Une relation cabossée qui prouve que les histoires d’amour peuvent être à la fois belles, profondes et graves et que les bluettes ne sont pas les seules à pouvoir aborder la thématique des « âmes sœurs ».

A la demande de la BBC, Sally Rooney a rapidement participé à la transposition sur le petit écran de son livre multi-récompensé paru aux Éditions de l’Olivier, classé parmi les meilleurs romans des années 2010. Elle a collaboré avec la scénariste Alice Birch (The Wonder) pour que naisse une série déclinée en 12 épisodes de 26 minutes, coproduite par Hulu.

Une caméra respectueuse et sous le charme

Autour de cette histoire d’amour chahutée, la caméra de Lenny Abrahamson et Hettie Macdonald crée un cocon duveteux, où la douceur de la lumière répond à celle des sentiments partagés. Fragiles et parfois indécis, marchant sur un fil, les deux jeunes amants tâtonnent et se blessent parfois, peinant à reconnaître ce qui est une évidence à l’écran. La beauté de la série est de parvenir à filmer et même sublimer cette relation en construction dans des épisodes très courts où le temps semble pourtant suspendu. La caméra semble se fondre dans cette relation fusionnelle, au plus près du souffle et de la peau de ses interprètes, se jouant du flou, du rouge aux joues et du grain de peau de Marianne et Connell dans des scènes d’intimité d’une beauté à couper le souffle qui pourraient illustrer les notions de douceur, de respect et de consentement.
Dans leur désir de plaire à l’autre et de lui faire plaisir, ils sont tous les deux extrêmement touchants et très matures. Normal people n’est pas une série à l’eau de rose ou une romance tapageuse, mais elle mérite d’être vue et connue de tous.

La série a connu un succès fulgurant, durant le confinement, tant en Grande-Bretagne qu’aux Etats-Unis. La grande justesse de ses deux jeunes interprètes, Paul Mescal (The Lost Daughter) et Daisy Edgar-Jones (vue dans La Guerre des mondes), a été saluée ainsi que la réalisation impeccable de Lenny Abrahamson et Hettie Macdonald (Doctor Who). La BBC a d’ailleurs décidé d’adapter Conversation with Friends, le premier roman de Sally Rooney, avec la même équipe de réalisation. Le résultat est attendu en mai sur Hulu.

Karin Tshidimba