La nouvelle série RTBF (ex-Unseen), en cours de tournage en Brabant wallon, imagine une épidémie rendant certaines personnes invisibles. Une façon de parler des défis et de la cécité de notre société, selon la scénariste Marie Enthoven. A une semaine de sa fin de tournage, la voici mise à l’arrêt pour cause de coronavirus…

La vie est pleine d’ironie… Lorsqu’elle sera diffusée à la rentrée, la nouvelle série belge Invisible (ex-Unseen) nous fera sans doute sourire avec son scénario envisageant une mystérieuse épidémie rendant certaines personnes invisibles. Aucun risque mortel mais une lente disparition qui démarre par le bout des doigts avant de vous happer tout entier. Pour l’heure, elle a dû postposer ses cinq derniers jours de tournage en raison de la menace réelle que fait peser sur elle l’épidémie de coronavirus.

Cette première incursion dans le fantastique emballe toute l’équipe, à commencer par la RTBF, parce qu’elle « change des séries policières et des thrillers criminels imaginés jusqu’ici ». L’histoire n’a rien à voir avec l’émergence du coronavirus : la toute première ébauche du scénario a été dévoilée en mars 2014 par Pierre Puget et Mehdi Husain. Le projet a connu de nombreuses avanies – changement d’auteurs, de réalisateurs, de producteur – avant de renaître de ses « cendres » il y a un peu plus d’un an, et partir en tournage en novembre dernier. Preuve que face à une épidémie, seule la résilience compte…

Marie Enthoven est la directrice d’écriture de la prochaine série belge (RTBF) « Invisible »

Pas des super-héros, des personnes ordinaires

Cette thématique fantastique, la scénariste Marie Enthoven qui a imaginé le nouveau concept de la série, ne l’envisage pas du tout sous l’angle héroïque. « Il y a beaucoup de fantasmes au sujet de l’invisibilité mais le soufflé retombe très vite. Ce n’est pas tellement générateur d’histoires en dehors des super-héros. Or ce n’est pas mon genre. Je n’y aurais jamais songé car c’est une idée hyper ambitieuse et compliquée. J’ai regardé toutes les séries actuelles sur le sujet et j’ai cherché un autre angle qui me séduise davantage. »

« Quand on est invisible pour toujours, pas pour faire trois farces ou remplir une mission, cela devient un handicap. J’ai imaginé un phénomène dont on est victime comme une épidémie. Avec une instance médicale qui les poursuit et veut les placer en quarantaine. Comment faire pour être le père ou l’amoureux de quelqu’un, comment faire pour continuer à vivre dans ce monde quand on devient invisible ? Très vite, on découvre que c’est un exil, un handicap. J’ai décidé de traiter la question sous cet angle. Le fait que ce soit dur à vivre et que tout le monde continue à faire des efforts pour les intégrer, cela a fait vibrer quelque chose en moi. Mon père avait un handicap tout autre, c’est donc une question qui me touche. J’ai beaucoup réfléchi à la difficulté de faire en sorte que l’autre ne ressente pas son handicap au quotidien« , confie-t-elle.

Le fantastique permet d’aborder la société

Son goût pour le fantastique tient au symbolique, à la réflexion sur la société. « Je suis philosophe de formation. Le fantastique permet de parler de grandes questions humaines modernes comme le fait de ne plus voir l’autre en tant que tel. L’invisibilité est une façon symbolique de parler de notre cécité. Si les gens sont invisibles, c’est souvent parce qu’on ne veut pas les voir. Une des choses qui me touchent dans ce monde est que l’autre est souvent considéré comme un objet, une opportunité. On le regarde en se demandant : que peut-il m’apporter ? Notre capacité de reconnaître l’autre en tant qu’être humain est au cœur de ce récit. »

Myriem Akheddiou (Le jeune Ahmed) interprète Laurence Denayer, personnage hypersensible aux ondes magnétiques.


« Mon personnage principal, Laurence, est électro hypersensible (EHS), elle pense tout de suite que cette épidémie est due à la présence des antennes. Alors que Nathan
(joué par Fabio Zenoni), qui est médecin, recherche des traces dans le sang. Chacun réagit en fonction de sa personnalité. Je suis un peu Laurence, Victor est un peu mon père. On croit qu’on invente mais je n’écris que sur ce qui m’interroge, ce que je connais. »

La pollution électromagnétique, l’installation d’antennes 5G, tout part de là. « Cela m’inquiète. On ne s’en rend pas compte mais on recycle tout dans l’écriture. C’est une façon de s’approprier le fantastique, en parlant de choses concrètes. »
Si elle rêvait d’écrire une série, Marie Enthoven envisageait plutôt cela dans dix ans. « Cela me faisait peur mais ce projet a croisé ma route. Je me suis dit qu’il fallait que je me jette à l’eau. Je ne voulais pas avoir de regrets. » Un peu comme une épreuve face à laquelle on ne peut se dérober.

Entretien: Karin Tshidimba
Photos: Marie Russillo