La websérie RTBF vient de boucler le tournage de sa saison 2 à Bruxelles. La pièce originelle est montrée durant tout le mois de juillet à Avignon. On a parlé des réactions que la pièce et la série suscitent sur les questions d’inclusivité et d’ouverture avec son interprète principale: Léone François

Il y a une ellipse de quelques mois entre les saisons 1 et 2 de La Théorie du Y , les personnages évoluent et ne fréquentent plus les mêmes endroits. « Anna va découvrir de nouveaux lieux, entre autres le Boudoir où nous nous trouvons qui est un lieu central de la saison 2. C’est un lieu lesbien où se réunissent des filles très engagées. Un lieu de rencontres et d’élaboration de projets. Anna va être en dilemme par rapport à ce lieu, par rapport à son métier et au fait de savoir si elle veut s’engager davantage dans la communauté LGBTQI ou pas. L’idée des réalisateurs (Caroline Taillet et Martin Landmeters, NdlR) est de montrer différents coins du Bruxelles qu’on aime, des lieux dans lesquels on sort. On a tourné au C12, une boîte de nuit du centre-ville, dans les Marolles…  » détaille la comédienne Léone François. Et dans cette ancienne ambassade désertée, à Schaerbeek, qui a permis de reconstituer plusieurs décors de la série : appartement de Malik, appartement d’Anna, Boudoir… à la façon d’un studio géant.

Dans cette saison 2, on suit le parcours d’Anna mais aussi celui de Malik. Selon le désir de ses concepteurs, la saison 2 de La théorie du Y plonge plus en profondeur dans le monde LGBTQI+ belge à travers des personnages inspirés du réel, présents partout mais souvent invisibilisés.

Malgré l’écho de la pièce qui l’a précédée, la comédienne belge a été « très surprise du succès de la saison 1. Pendant le tournage, on n’avait pas du tout conscience de l’impact que cela pouvait avoir. Ce qui m’a particulièrement touchée, c’est le fait que beaucoup de jeunes m’ont écrit pour me dire à quel point cette série leur faisait du bien. Plus que le nombre de vues (2,2 millions de vues sur Youtube, Auvio, etc.), cela a eu un impact très personnel pour un tas de gens. Ce qui m’a fait réaliser que la bisexualité n’est pas encore une évidence pour tout le monde. Il y a donc une nécessité de continuer à en parler. »

Vous l’aviez déjà ressenti en jouant la pièce dont s’inspire la série, non ?

Oui, mais pour moi, ces questions d’inclusivité de tous les genres, toutes les origines et toutes les identités sexuelles sont une telle évidence que parfois j’oublie ou j’ai du mal à concevoir que cela ne puisse pas l’être pour tout le monde. Quand on est confronté à des réactions violentes ou à des frictions, cela nous rappelle pourquoi on fait cette série.
Un des comédiens qui est venu la semaine passée, jouait le rôle d’un homosexuel, il était légèrement maquillé pour la scène que l’on jouait. C’était une séquence imaginée – comme j’en ai quelques-uns dans la série -, au cours de laquelle il devait m’insulter parce qu’il y a une partie de la communauté gay qui est biphobe : ils estiment que les bi sont des gens qui n’assument pas leur choix. On a terminé le tournage vers 21h et en rentrant chez lui, ce comédien s’est fait insulter et harceler. C’est fou de se dire qu’il s’est fait agresser à la sortie du tournage d’une scène qui mettait ce type de violence en lumière. Il nous a envoyé un message et vraiment, cela nous motive encore plus à en parler.

« Cette série sur la bisexualité est une première étape »

Face à ce sujet, il y a eu deux types des réactions : des adolescents, via les réseaux sociaux, m’ont parlé de leurs questions et leurs doutes. Et des adultes qui se souvenaient d’expériences passées ou qui se posent des questions pour aider leurs enfants aujourd’hui.
Au théâtre, on a un rapport direct avec le public, on débriefe après la pièce. Cela veut dire que quand j’embrasse une fille, j’entends dans le public les réactions de dégoût. J’en tiens compte même si on continue à jouer ce qui est prévu. Dans la série, on n’a pas du tout conscience de l’impact sur les spectateurs. A part lorsqu’on reçoit des messages, positifs ou négatifs, après. La réaction la plus forte, au théâtre, a été celle d’un prof qui s’est levé et est parti. Ses élèves l’on hué… Aucune des deux réactions n’est la bonne. La seule chose à faire est de continuer à présenter ces histoires et à susciter le débat.

C’est une question qui n’a pas souvent été traitée en Belgique, voire même en Francophonie.

Je ne sais pas si c’est une question de pays. L’homosexualité est de plus en plus traitée dans les films et les séries. Mais la bisexualité reste vraiment à part. C’est la spécificité de notre série. Et puis, si les homosexuels sont plus présents à l’écran, ils ont souvent des rôles secondaires, alors qu’ici, Anna est le personnage principal. Et c’est une femme.

Les hommes gays sont davantage présents dans les fictions.

Oui, mais parmi les réactions qu’on entend au théâtre il y a notamment celle-ci : « Pour vous, c’est ok parce que vous êtes une fille, mais franchement si c’était un mec, pas question… » Le résultat serait forcément plus grinçant avec un rôle principal masculin. C’est une première étape, ce qu’on est en train de faire. Il faudrait que dans la saison 3 ou dans une autre série, on ait un personnage principal bisexuel masculin parce qu’il y a encore beaucoup de choses à régler de ce côté.

Cela veut dire que la saison 3 est déjà en réflexion ?

Je n’ai rien entendu à ce sujet-là, j’ai envie que ce projet continue à exister mais on termine la saison 2, donc je ne suis pas au courant pour le moment.

En attendant de découvrir la saison 2 à la RTBF, cet automne, la pièce La Théorie du Y sera jouée durant tout le mois de juillet à Avignon au Théâtre des Lucioles. Parallèlement, Léone François joue aussi dans L’Herbe de l’oubli de Jean-Michel d’Hoop, pièce-documentaire sur Tchernobyl. Et est une des interprètes de Sylvia de Fabrice Murgia au National.

« Ce sont les trois spectacles avec lesquels je serai en tournée l’an prochain. J’ai envie de pouvoir continuer à tourner et à jouer sur scène. Au théâtre, les tournées peuvent durer deux, trois ou même quatre ans comme c’est le cas avec La Théorie du Y. Ce sont des réseaux assez différents, surtout en Belgique. Il y a encore parfois cette frontière entre les deux univers mais il faut brouiller les pistes, à ce niveau-là aussi. » Elle sourit.

Entretien: Karin Tshidimba

nb: Avec cette saison 2, la websérie RTBF devient une œuvre transmédia en représentant, dans la fiction et en dehors, la communauté LGBTQI+ via une exposition documentaire (photographique et sonore) sur l’amour saphique. L’occasion pour La théorie du Y de présenter des photos et des interviews au sujet des clichés qui entourent l’intimité de ces femmes.

photos de tournage: Marine Vancampenhout