La victoire de Viola Davis aux Emmy Awards, dimanche soir (cf. note précédente), a relancé le débat sur la diversité à l’écran. Car même de ce côté-ci de l’Atlantique, les écrans apparaissent étonnement masculins et blancs. Un constat mis en avant lors du dernier Festival de la fiction TV à La Rochelle.
«Le cinéma a vraiment compris l’enjeu que représente la diversité avec des acteurs comme Omar Sy, Jamel Debbouze ou Tahar Rahim devenus bankables en France. En revanche, la télévision n’a pas réussi à tirer le maximum de ce potentiel. On ne voit pas de têtes d’affiche comme au cinéma, ni des rôles emblématiques comme celui de Luther campé par Idris Elba en Grande-Bretagne. Qui est un personnage profondément anglais et excentrique. Pourtant on ne manque pas d’acteurs» note Alexandre Michelin qui a présidé la sélection rochelaise.
«Il y a eu quelques grands succès comme la série « Aïcha » de Yamina Benguigui, ou des fictions comme « Fais danser la poussière » (parcours d’une jeune danseuse métisse, NdlR) ou des films historiques comme « Toussaint Louverture ». Mais de manière générale, la fiction française apparaît déconnectée de la réalité. Il suffit de regarder les décors. On est dans un monde rêvé qui ne représente pas notre quotidien. On ne retrouve pas ce qu’on a pu voir dans « Intouchables » ou même dans la série « H » de Canal+ qui a mis en avant une génération d’acteurs: Eric Judor, Jamel Debbouze, Ramzy Bedia…
«Plus belle la vie» a bien réussi
Tout n’est cependant pas sombre. Il y a même une grande exception: « Plus belle la vie », le feuilleton quotidien de France 3 «qu’on a beaucoup aidé au début et qui fonctionne très bien aujourd’hui. On y est très proches des préoccupations des gens. Il y a une profonde mixité sociale, ethnique et culturelle et c’est un des plus solides succès de la télévision française depuis des années. En soirée, on commence seulement à avoir des personnages comme Chérif (photo) ou des seconds rôles mais il n’y a pas un héros ou une héroïne comme il y en a très naturellement chez Shonda Rhimes aux Etats-Unis, dans Scandal ou How to get away with murder. Et je pense que c’est vraiment l’étape que la fiction française devra franchir.
Pour y parvenir, tout dépend des créateurs et des décideurs, souligne Alexandre Michelin. «Cela arrivera: les acteurs et les auteurs sont là, les histoires, il y a en a toujours eu. J’achève bientôt mon mandat de président de la Commission de la Diversité au CNC, c’est vraiment un objectif qu’il faut poursuivre. Il faut que cette opportunité-là soit saisie. On a tout: des grands acteurs très connus du grand public, de grands scénaristes, et des moyens Ce n’est pas un décret qui peut faire en sorte que cela arrive. Il faut de grandes rencontres.»
Casser les freins et l’autocensure
Serait-ce une question d’audace ? «On pourrait le dire si cela n’avait jamais existé mais ce n’est pas le cas. La question fondamentale est la suivante: quand la fiction va-t-elle dépasser la réalité ? Dans l’esprit de ceux qui décident il y a encore des freins et dans celui de ceux qui créent, il y a une forme d’autocensure. C’est une question beaucoup plus générale, de société. Il suffit de comparer le personnage de Luther sur la BBC et celui de Chérif sur France2. Le personnage de Luther a été poussé à fond, ce qui est très anglais, comme ils l’ont fait avec le mythe Sherlock. Mais en France, sans doute qu’on veut le faire mais on n’ose pas imaginer un policier aussi louche, dérangeant et borderline. Cela donne une autre dimension à Idris Elba qu’on a pourtant déjà vu dans The wire (série majeure signée par David Simon, NdlR). La question n’est plus de savoir s’il est noir, mais jusqu’où ce flic bizarre peut aller. Le métier de diffuseur, je le connais bien: il est très difficile. Je ne sais pas comment ils sont arrivés au personnage de Chérif: peut-être que c’est la proposition qu’ils ont reçu des scénaristes mais je ne peux pas m’empêcher de comparer. J’adhère profondément à la proposition anglaise et à celle de Shonda Rhimes et je constate qu’on n’est pas encore capable de faire cela en France.»
Pourtant c’est une étape qu’il faudra franchir «si on veut aller en Champions League avec nos productions. Car c’est cela qui fait la différence, il faut se lâcher,... insiste-t-il.
Suivre l’exemple de Chocolat et de Narcos
« Il y a des histoires extraordinaires, poursuit-il. Par exemple il y a un film de Roschdy Zem qui va sortir en février prochain avec Omar Sy sur le clown chocolat, l’histoire vraie du premier clown noir célèbre au tournant du 20e siècle en France. » Un récit qui a été identifié sur base d’un travail universitaire et ensuite adapté pour proposer le rôle à Omar Sy.
« L’histoire de ce clown qui s’est fait rouler a donné naissance à l’expression française: « être chocolat ». Il faut le savoir. On a aidé ce film à la Commission. Quand on produit un film comme celui-là (une adaptation en costume avec Omar Sy), il faut de l’audace. J’espère que le film sera formidable, en tout cas ça me donne vraiment envie de le voir. Et je pense vraiment que la fiction française pourrait avoir des histoires de ce calibre là. C’est la même chose quand je vois Tahir Rahim dans Un prophète, c’est le De Niro français, un personnage extraordinaire. J’espère qu’un jour on aura l’équivalent dans un rôle dramatique en télévision.»
La même remarque s’applique à la série Narcos sur Netflix (photo). «Elle est produite par Gaumont International, un producteur français, c’est donc bien la preuve qu’on peut faire ça en France aussi. Une production internationale, avec des acteurs latino-américains, seulement à 30% en anglais et qui est diffusée dans le monde entier. D’où ma sortie récente dans Le Monde: « Que les diffuseurs se réveillent! » Car il suffit de prendre la décision d’y aller. Et quand ça marche, c’est vraiment gagnant pour tout le monde », conclut un Alexandre Michelin convaincu et conquérant.
KT à La Rochelle
nb: Ex-membre du CSA, Alexandre Michelin préside la Commission « Images de la Diversité » au sein du CNC depuis 2007. Une commission lancée suite aux émeutes de 2006. « Le président Chirac a créé un fonds, doté de 10 millions d’euros, afin d’améliorer la représentativité dans les médias de toutes les origines qui composent la France. » Chaque année, la Commission investit des aides dans des films («Entre les murs», «Indigènes», etc), des fictions et des documentaires.
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