Tour 2, 18e étage de la BNF (Bibliothèque nationale de France). Un long couloir tendu de toile blanche se profile devant nous. Dans ce décor où la lumière se reflète parfaitement, la stature de Vincent Lannoo se détache, imposante. Son physique de géant, aux boucles rousses et à la barbe fournie, en impose dans cet univers dépouillé et pratiquement atone.
“Allons-y: rigueur, froideur, c’est un monde où on ne sourit pas beaucoup”, rappelle le réalisateur belge avant de se réinstaller devant ses écrans vidéo.
Samedi, Trepalium a abordé son dernier virage. La nouvelle série d’Arte est à présent entièrement tournée. Une fiction d’anticipation en 6 épisodes qui explore les nouvelles frontières d’un monde où le travail est devenu une denrée extrêmement convoitée. Et où les stratégies mises en place pour en avoir, ou le garder, sont à l’origine d’un tas de dérives. Des thèmes puissants et dérangeants, une réalité parallèle proche de la nôtre jusqu’au frisson. Cela méritait bien une petite visite en coulisses.
Avec ces deux univers séparés par un énorme mur – d’un côté, la Ville où vivent les 20 % de salariés et de l’autre, la Zone où vivent les 80 % de chômeurs déclassés –, Trepalium “aborde frontalement des questions sociétales, politiques et économiques. La question de la souffrance, contenue dans le terme Trepalium qui signifie torture en latin, n’est pas tout”, souligne la productrice Katia Raïs de Kelija Production. “Mais le désir de fiction va au-delà de ces deux mondes : il est attaché aux personnages d’Izia et de Ruben qui vivent de part et d’autre du Mur.”
« La Zone, c’est le monde d’aujourd’hui, figé dans le temps et paupérisé où toutes les installations sont en décrépitude. La Ville est telle qu’on imaginait le futur dans les années 80. D’où cette impression rétro-futuriste mêlant futur proche et passé » explique Vincent Lannoo. Comme les costumes des comédiens qui rappellent les années 50 avec leur côté «uniforme chic», un brin figés: jupes droites jusqu’au genou, chemisiers blancs impeccables, plastron.
Pour définir ces deux univers, ses références visuelles ne sont pas un mystère: elles oscillent entre «Les Fils de l’homme» d’Alfonso Cuarón, pour la Zone et «Bienvenue à Gattaca» d’Andrew Niccol, pour la Ville.
Le bonheur est dans le cadre, selon Vincent Lannoo
“Avant tout, il y a la volonté de faire du genre : une histoire qui nous entraîne et décortique le monde dans lequel on vit, même si le curseur est poussé un peu plus loin, embraye Adrienne Fréjacques, chargée de programmes d’Arte. C’est un monde d’une immense dureté. La série dénonce cette violence sociale. Mais il y a aussi la volonté d’avoir une histoire romanesque au-delà de cette observation, de ce décryptage. On n’est pas seulement dans une caricature fascisante. Trepalium décrit une forme d’apartheid social. Au final, l’idée au cœur de cette exploration c’est que vivre ensemble de façon décente, c’est beaucoup de travail.”
“Nous avions deux contraintes, concède Adrienne Fréjacques : un budget serré, ce qui nous obligeait à chercher quelqu’un capable de réaliser la série sans que cela ne se voie et un réalisateur qui a l’habitude du genre. Avec Vincent Lannoo, on avait les deux.”
Grégoire HOH
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L’univers de Trepalium ayant été décrit et imaginé par Sophie Hiet et Antarès Bassis, les deux créateurs, épaulés par Thomas Cailley et Sébastien Mounier, il ne restait plus qu’à convaincre Vincent Lannoo…
“Le défi est de faire le plus beau et le plus exceptionnel possible avec les moyens dont on dispose. Et comme d’habitude, j’ai fait un gros effort sur mon salaire, lance Vincent Lannoo, goguenard. On l’a tous fait car il y a un vrai enthousiasme, en connaissance de cause. Il y a un très joli projet avec une nouveauté, l’anticipation, vers laquelle on a tous envie d’aller. L’idée est de magnifier le scénario qui existe déjà. On a une vraie liberté car il ne s’agit jamais de rattraper du texte mais de le faire vivre. Katia Raïs a géré toute l’écriture, c’est « son » bébé donc j’adore l’appeler, lui demander son avis. J’ai la volonté de toujours rester dans le juste, que ma créativité ne déborde pas.”
Ce matin, les deux coproductrices, belge et française, sont présentes à ses côtés sur le plateau de tournage, et le trio partage ses réflexions à voix basse face aux écrans vidéo. Entre deux prises, les acteurs viennent demander des précisions à Vincent Lannoo sur les intentions de jeu ou sur le rendu de la scène qui vient d’être tournée.
Une série avec un vrai point de vue d’auteur
“On m’a contacté en mai, peu avant la sortie d’‘Au nom du fils’, mon dernier long métrage sorti en France. Ils m’ont envoyé le premier épisode de ‘Trepalium’, je l’ai lu et c’était exactement ce que je voulais faire à ce moment-là. J’avais envie de faire de la série, je me demandais ce que j’allais pouvoir aborder et mon rêve, totalement inespéré, était de pouvoir réaliser une série pour Arte. Et ça m’est tombé dessus ! J’ai donc répondu avec une envie énorme. C’est formidable car c’est comme faire une série HBO, mais en français.”
« Ce qui me passionne dans le projet, c’est de faire une série romanesque, avec de l’espionnage, du thriller, de la romance, en apportant une réflexion politique. Juste avant qu’on me propose Trepalium, je préparais un film qui s’appelle «Le livre noir du libéralisme». Maintenant, je n’ai plus à le faire car ce projet était très pamphlétaire. Et ici je me retrouve avec une véritable aventure qui va défendre le même propos, donc c’est formidable parce que c’est beaucoup plus fort que ce que j’avais imaginé. Alors évidemment, je fonce avec cette envie et ces références venues du cinéma. »
Entouré d’une équipe de choc, des « tueurs » comme il les qualifie – Pierre Deladonchamps (photo 3), Léonie Simaga (photo 4), Charles Berling, Aurélien Recoing (photo 2) -, Vincent Lannoo doit à présent aborder les 5 mois de post-poduction. Il reste en effet un gros travail à faire sur les effets visuels, les décors, etc.
« Il y aura beaucoup d’effets spéciaux avec des écrans partout, le mur qui sépare la ville en deux. »
Le résultat final sera à découvrir sur antenne fin 2015 – début 2016.
KT, à Paris
photos: Jean-Claude Lother
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