L’exercice du classement de fin d’année ressemble à un casse-tête chinois. Semblable à un agencement de vitrine virtuelle dont on modifierait les paramètres (livres, CD, DVD) jusqu’à la dernière seconde, comme si on était sûr que le coup de gong, à minuit, devait nous sacrer champion.
Car il y a les séries que l’on aime depuis le début et celles qui sont venues nous surprendre ou nous porter vers des univers jugés, au départ, peu attirants. Il y a celles qui nous ont déçus ou qui se sont insuffisamment renouvelées.
Et puis, il y a toutes celles qu’on ne parvient pas vraiment à départager car on les imaginerait bien à jamais sur pied d’égalité (les n°3 et 4, par exemple, ou 7 et 8, voire 11 et 12) mais puisqu’il faut trancher et tenter une forme de classement avant de refermer le grand livre de l’année 2013, risquons-nous à cet exercice un peu fou.
Et susceptible de toutes les modifications et/ou inversions en ce qui vous concerne.
1. Rectify. Produite par Sundance Channel, c’est la série la plus bluffante de l’année : de celles qui s’impriment de façon persistante sur la rétine. D’abord, “Rectify” a l’histoire pour elle : celle d’un homme libéré après 19 années passées dans le couloir de la mort et d’une ville entière qui doute de son innocence. Mais le meilleur est ailleurs : dans le regard hébété et complètement décalé que Daniel Holden (Aden Young) porte sur le monde qui l’entoure. Et l’incroyable poésie qui en surgit car l’homme, coincé dans le couloir de la mort, a conservé intacte, au fond de lui, une précieuse part d’enfance. Ray McKinnon a créé un univers unique qu’on regrette de devoir quitter au terme de 6 épisodes seulement. Mais qu’on craint aussi de voir abîmé dans une seconde saison redoutée autant qu’espérée. Dilemme (photo 1).
2. Treme: un chef d’oeuvre et rien de plus. Une fois encore, David Simon, conteur hors pair, boucle un parcours magnifique dans une ville dévastée (ici, par une catastrophe naturelle qui a surtout mis en évidence des défaillances humaines). Une ville qui, contrairement à Baltimore (épicentre de son excellente The Wire) possède une culture, un patrimoine et un héritage uniques. Pour ne pas la quitter trop vite (l’ultime saison ne compte que 4 épisodes), on en a même décalé la vision afin de la savourer jusqu’à la dernière note, comme un moëlleux au chocolat dont on prolongerait indéfiniment la dégustation… On en reparle.
3. Borgen. Pour Borgen, c’est déjà trop tard. La dernière image a été projetée et le générique s’est dévidé sur l’écran, inexorablement. Restent les souvenirs d’une série élégante, très humaine et maîtrisée, d’intrigues et de personnages hauts en couleur qui nous ont fait découvrir un coin méconnu d’Europe. La saison 3 a marqué la reconquête du pouvoir par Birgitte Nyborg et, en même temps, la fin de la série créée par Adam Price. On ne regardera jamais plus le Danemark, la politique ou le journalisme télévisé du même oeil (photo 2).
4. Downton Abbey. Bien sûr, il plane un léger parfum de mélo sur le domaine de Lord et Lady Grantham mais la célébration des sentiments n’a jamais fait de tort à personne. Et les personnages sont tellement attachants qu’on oublie presque qu’à force de vouloir les rendre emblématiques de leur temps, Julian Fellowes a tendance à (trop) multiplier les péripéties touchant les proches et les domestiques de la famille Crawley. C’est un plaisir coupable, certes, mais il ne manque ni de personnalité, ni de style, ni de fondement historique et c’est à la fois remarquable et très appréciable. Isn’t it?
5. Top of the lake. Difficile d’être fan des personnages de Laketop, petite ville improbable du bout du monde (Nouvelle-Zélande). Pourtant en découvrant la toute première série réalisée par la célèbre cinéaste Jane Campion, comment rester insensible au parfum de polar atmosphérique qui s’en dégage ? Retrouvant les lieux de son enfance, elle les filme avec tendresse et compassion, offrant un écrin d’exception à des personnages sans doute veules, paumés ou brisés, mais qui continuent longtemps à vous hanter. Preuve ultime de sa réussite.
6. Utopia. On a le souvenir d’une véritable claque visuelle et narrative et pourtant la découverte remonte à janvier. Tout n’est sans doute pas réussi dans la série de Dennis Kelly. Mais cette traque sauvage, oscillant entre univers et richesses du cinéma et de la BD, n’a pas impressionné les seuls téléspectateurs de Channel 4. Reste à voir ce que prévoit la suite.
7. The Hour. On retrouve les années 50 avec ce thriller sur les tout débuts du Journal télévisé britannique. Une série qui bonifie en seconde saison c’est suffisamment rare pour être souligné. Découverte grâce à Arte, une fois de plus, cette série signée Abi Morgan allie élégance, personnages fouillés, éléments historiques et suspense d’une enquête parallèle. Un mélange pimenté et tout à fait addictif.
8. House of cards. Le compliment (cf. The Hour) s’applique parfaitement à ce thriller politique américain signé par Beau Willimon et David Fincher. Inspirée d’une série britannique, elle en a conservé l’esprit retors, adapté au contexte contemporain d’outre-Atlantique. En lice pour les prochains Golden Globes, elle pourrait bien marquer le premier triomphe international de Netflix. La saison 2 est attendue en février, sur Be TV aussi.
9. Breaking Bad. La série primée aux Emmy Awards a achevé son parcours aux Etats-Unis et sur Be TV, pas sur Arte. Sa violence et sa noirceur ont découragé pas mal de curieux et ont empêché que le processus habituel d’identification ne fasse son oeuvre mais sa cohérence scénaristique et ses qualités formelles et plastiques resteront gravées dans les annales.
10. Boardwalk Empire. Grande cohérence narrative, qualité plastique indéniable, personnages qui s’enfoncent dans la noirceur: il y a au-delà des époques et des genres, pas mal de points communs avec cette autre histoire du crime organisé (à grande échelle) contée par Terence Winter sous la supervision de Martin Scorsese.
Au contraire de Walter White, Nucky Thompson n’est pas encore en bout de course mais son itinéraire, loin des somptueuses fiestas du début (photo), s’avère déjà plutôt sanglant.
11. La gifle. L’absence de stars au casting et l’éloignement ont sans doute nuit à la reconnaissance, hors d’Australie, de cette création signée Tony Ayres. Pourtant cette étourdissante plongée dans les faubourgs de Melbourne, au sein de la communauté grecque, se révèle aussi instructive que passionnante. Et sa construction en tiroirs – où chaque épisode est centré sur un personnage différent tout en poursuivant la narration commune et en révélant des éléments sur l’ensemble des protagonistes – est vraiment impressionnante.
12. Real Humans. Une autre perle venue du Nord offerte par Arte. Cette histoire de robots humanoïdes dotés d’une capacité d’apprentissage inattendue, y compris des sentiments, bouleverse le regard que l’on peut porter sur les relations entre l’homme et la machine, l’homme et son alter ego. Une belle découverte signée Lars Lundström qui a déjà quelques followers…
13. The Tunnel. La série franco-britannique ne produit pas les mêmes effets que l’originale Bron bien plus âpre et étrange, mais contrairement à ce qu’on pensait, elle s’en tire plutôt bien en termes de suspense et de mariage des deux cultures en présence. Décors étonnants, suspense efficace, acteurs de talent et réalisation fluide. Cette réalisation internationale a beaucoup pour elle, là où bien d’autres europuddings nous avaient déçus.
En guise de bonus, pour 2014, on retiendra encore Masters of sex, la bonne surprise d’une rentrée de septembre peu inspirée. Be TV en donnera d’ailleurs un avant-goût en février prochain.
Et maintenant, c’est à vous… Si vous souhaitez faire entendre votre voix, n’hésitez pas à voter pour les séries en lice pour les prochains Golden Globes. Dépouillement des votes le 3 janvier.
Bonne année à tous !
KT
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