Au pays des séries, les scénaristes sont rois. Ils créent et définissent l’univers et les personnages explorés, participent au choix des acteurs, des décors, de la musique et des costumes et ont, in fine, droit de vie et de mort sur chaque protagoniste du récit.
Par rapport au cinéma, où l’image prime aux yeux du public, ici ce qui compte, c’est le fait d’avoir une bonne histoire à raconter.
Comment, dans ce contexte très particulier, parvenir à s’imposer et à faire prévaloir son regard ? C’était la question inscrite en filigrane de la rencontre avec Agnieszka Holland, organisée la semaine dernière, dans le cadre du Festival «Séries mania» au Forum des images à Paris (cf. notes précédentes). Une rencontre riche et argumentée avec une réalisatrice qui n’a pas sa langue en poche.
Si elle est connue pour ses nombreuses réalisations sur grand écran (« Europa Europa », « Totale Eclipse », etc.), de nombreux créateurs de séries ont déjà fait appel au talent d’Agnieszka Holland. David Simon, par exemple, précurseur de la série complexe et moderne, l’a invitée à prendre part à l’inégalable roman sociologique The Wire mais aussi, ensuite, à la conception de l’excellente Treme (2010), plongée dans les plaies béantes de la Nouvelle-Orléans post-Katrina.
«J’ai besoin du dialogue pour avancer et, parfois, les créateurs de séries sont trop rigides, habitués à ce que tout le monde trouve leur façon de travailler géniale. Au début, David Simon était irrité par ma façon de faire et de discuter. Puis, il s’est montré curieux de ma vision des choses et ça s’est bien passé.»
Agnieszka Holland a ainsi été invitée à réaliser l’épisode pilote de Treme, imposant sa vision initiale aux réalisateurs qui prendraient sa suite. «Treme raconte la destruction d’un monde, de ses valeurs et de l’espoir des gens qui y vivent. Des habitants qui sont obsédés par l’idée de retrouver la Nouvelle-Orléans d’avant Katrina – un rêve impossible à réaliser puisque la reconstruction est en panne. Pour réussir à exprimer ce désespoir, j’ai pensé à la Pologne d’après la Seconde Guerre mondiale, à Varsovie détruite, quelque chose que je connaissais personnellement.» C’est cette sensibilité et cette force visuelles que les producteurs viennent chercher chez elle.
C’est également le cas d’une autre Américaine, Veena Sud, rencontrée sur le tournage de la série historique et policière Cold Case (2004) qui lui a ensuite proposé de prendre part à la création du thriller atmosphérique The Killing (version USA). Une signature visuelle que les plus fidèles n’auront eu aucune difficulté à reconnaître.
Héros du quotidien
Récemment, la réalisatrice d’origine polonaise s’est rapprochée de sa propre histoire en abordant la révolution tchèque, dans la mini-série Burning Bush**. Un récit en trois parties (3 x 80 minutes) qui a battu des records d’audience lors de sa présentation dans les pays de l’Est. Cette mini-série évoque les événements qui ont suivi l’immolation par le feu, le 16 janvier 1969, de Jan Palach, jeune étudiant en Histoire qui voulait protester contre l’inertie de son pays face à l’invasion soviétique de 1968.
«J’étais étudiante à l’école de cinéma de Prague (la Famu) à l’époque, et j’étais très engagée dans le mouvement étudiant. C’est à ce moment-là que j’ai fait mon apprentissage, amer, de la politique. Cela a influencée ma vision du monde et des comportements humains. La question centrale de Burning Bush est: comment la société peut se résigner aussi rapidement, et quel est le moteur qui fait que, dans une situation de frustration, de répression, certains individus vont à contre courant ? Je suis fascinée par les gens, les jeunes surtout, qui ont ce courage. Je pensais que c’était aux Tchèques de raconter cette partie de leur Histoire mais, finalement, HBO Europe était très heureuse de m’avoir aux côtés des trois très jeunes coscénaristes tchèques pour porter ce récit.»
Avec cette mini-série, HBO Europe (présente dans 11 pays européens) pose le premier jalon de ses fictions politiques à venir. «C’était un grand enjeu avec des moyens limités, un énorme défi, pour eux comme pour moi. Il ne fallait pas échouer. La série a été heureusement très bien reçue en République tchèque et en Slovaquie où elle a un peu joué le rôle de thérapie nationale.» A l’Ouest, on attend encore qu’une chaîne (Arte ?) se décide à la diffuser.
A coté de Séries mania et de « Burning Bush », la cinéaste a une troisième actualité puisqu’elle présente son nouveau film, In darkness (Sous la ville), ce mardi à 19h30 à Bozar (en salles à partir du 15 mai). Un témoignage fort et techniquement osé puisque les trois quarts de l’intrigue se déroulent dans les égouts de Lvov (Varsovie) où des Juifs se sont réfugiés afin d’échapper aux nazis. Une présentation détaillée en sera faite prochainement dans « La libre ».
KT, à Paris
mise à jour (14/12): NBC va adapter en mini-série «Rosemary’s baby», roman d’Ira Levin rendu célèbre par le film de Polanski (1968). L’action sera transposé à Paris et le tournage va débuter en janvier. Le casting n’est pas encore connu mais Agnieszka Holland sera derrière la caméra.
mise à jour (04/02): Carole Bouquet a rejoint Zoe Saldana et Patrick J. Adams à l’affiche de la série américaine « Rosemary’s Baby » que prépare NBC. L’action de ce roman d’Ira Levin a été transposée à Paris. Le tournage a débuté.
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