luther.jpgElectrisante, c’est le seul terme qui convienne pour parler de la prestation d’Idris Elba dans Luther*** série de la BBC qui repose entièrement sur ses larges épaules. Car non seulement son personnage ne correspond à rien, que l’on ait déjà vu précédemment, mais chaque épisode agit comme une décharge de «taser» (pistolet électrique) sur le téléspectateur.

Version modernisée de l’Enfer de Dante, l’histoire de Luther est comme une spirale descendante qui vous entraîne vers les entrailles de l’humanité. Où l’on croiserait à chaque palier un profil encore plus perturbé que le précédent. A chaque stade, le quotidien du policier semble davantage se déglinguer comme si cette quête sans fin ne pouvait qu’avoir une influence léthale sur son équilibre mental, affectif et, bien sûr, professionnel.
«Ce type est de la nitroglycérine, une tête brûlée, s’il tombe, nous tomberons tous avec lui, vous qui avez bâti cette équipe et moi, qui vous ai supervisée. C’est un danger» préviennent, en vain, les supérieurs de Luther. En vain, car au sein de l’équipe, tous reconnaissent la valeur de Luther, incroyable pisteur, intuitif et obstiné.

D’autant que les enquêtes de cette unité spéciale n’ont souvent rien de «formaté», certaines chasses à l’homme s’étalant sur plusieurs épisodes, là où d’autres investigations s’avèrent nettement plus courtes, mais pas forcément moins intenses. Le tout – et c’est suffisamment rare pour être noté – sans recours excessif à la violence ou aux effusions sanguines, comme tant d’autres séries s’en sont fait la spécialité – même si le ton général est définitivement noir et brutal. On ne le dira jamais assez: ils sont forts ces Britanniques !

Pourtant le plus étonnant est ailleurs: dans le jeu du chat et de la souris qui lie Luther à une jeune femme rousse soupçonnée de meurtre. Car si Alice Morgan (Ruth Wilson), à la fois intelligence supérieure et esprit dérangé, n’accorde que peu de valeur à ses contemporains, elle est aussi le double inversé de notre fameux inspecteur. D’où l’irrésistible attirance qu’elle éprouve pour John Luther. Son charme, son intelligence et sa grande classe n’ayant évidemment pas échappé à la sagacité d’Alice.

Si cette personnalité intrigante enrichit considérablement les joutes policières de la première saison, que dire de la personnalité de Luther lui-même? Un homme dont on n’est jamais sûr qu’il restera du bon côté de la loi, tant sa détermination est grande lorsqu’il s’agit de traquer des meurtriers multirécidivistes. Et qui s’embarrasse d’ailleurs très mal de ce genre de détails.
Sa hiérarchie, en revanche, éprouve de plus en plus de difficultés à le suivre dans ses «dérives» jusqu’auboutistes. Car même s’il s’avère que John Luther se trompe rarement de suspect, les dommages collatéraux engendrés par le grand black au physique de lutteur ne sont pas négligeables.

Avec une saison 2 encore meilleure que la première, toujours sur le fil de la bavure ou du point de non retour, Neil Cross, auteur de polars reconnu, est parvenu à créer un univers aussi addictif qu’interpellant. Où il est bien difficile de distinguer le Bien du Mal nécessaire.
Doté d’
une galerie de personnages qui n’ont rien de secondaires, mais ont de vraies « gueules d’atmosphère », Luther impose son style intuitif, tendu, hors normes. Et lorsqu’on cherche des comparaisons, les grandes figures tragiques s’imposent tel Sisyphe poussant son impitoyable rocher…
KT

Luther. Drame policier de Neil Cross, avec Idris Elba, Ruth Wilson, Warren Brown. Diffuseur: BBC One. Début: mai 2010. Les saisons 1 & 2 (10 épisodes en tout) sont désormais rassemblées dans un coffret 4 DVD (Studio Canal). Une troisième saison est en cours de production.