Portée par une réalisation tendue et des plans magnifiques, la série, signée Vincent Maël Cardona, enserre Le Havre dans ses griffes, façon western. Sans jamais relâcher son étreinte. Six épisodes à voir dès ce mercredi sur Arte.tv

Un ciel ocre bardé de nuages lourds accueille les derniers mouvements des grues sur le port. L’horizon maritime est barré de rangées de cargos aux cales pleines, venus du monde entier. Sur les quais, un empilement de porte-conteneurs, tutoyant la voûte céleste, attend d’être trié. C’est l’univers où Pierre Leprieur (Olivier Gourmet) est né et a grandi « avec du pétrole et du sel dans le sang« . A 60 ans, il est l’une des figures du Havre et de son syndicat des dockers.

Au soir de son anniversaire, sa fête surprise est gâchée par l’annonce de l’arrestation de son plus jeune fils, Simon (Panayotis Pascot), passager d’une voiture à bord de laquelle on vient de retrouver un pain de cocaïne. Par ricochet, son frère aîné, Jean (impressionnant Pierre Lottin), concessionnaire de voitures de luxe, est soupçonné de trafic en bande organisée. Pour Pierre, qui a inscrit la lutte contre les trafics en tous genres au coeur de sa vie, le coup de massue est colossal. Malgré l’intervention de sa fille Emma (Margot Bancilhon), avocate, pour sortir la fratrie de ce pétrin, Pierre sait que la réputation de sa famille est définitivement entachée. L’enquête policière, qui débute, ne va pas manquer de révéler leurs petits arrangements personnels avec la vérité. En raison de la chute de la famille Leprieur, le quotidien de dockers bascule une fois de plus dans la tourmente.

A travers une succession de plans larges et de vues aériennes, Vincent Maël Cardona installe son cadre sur fond de ville dense, industrielle, où se détachent les silhouettes d’hommes en vareuses fluo, aux mains et aux visages noircis. Une entrée en matière au crépuscule, façon western, qui prend rapidement des accents de tragédie grecque.

Dans le scénario imaginé par Maxime Crupaux et Baptiste Fillon, il est question de rivalités et de mensonges. De complots, de vengeance, de trafics et de menaces. Si elle sonde un quartier et une ville, De Grâce est avant tout une histoire de famille aux prises avec un métier rude, rendu d’autant plus dangereux par l’envol de la mondialisation. Avec son cortège de tentations, de pressions et d’argent facile. A travers cette famille, la série interroge une économie souterraine et la façon de fonctionner d’une ville « avec ses ouvriers, sa police, sa justice et ses hommes politiques ».

Une ville qui brille de mille feux

Si sur 2300 à 3000 travailleurs, on ne parle que de 10 % de personnes impliquées dans les trafics en tous genres, l’augmentation des rotations de cargos, à Anvers comme au Havre, rend « matériellement impossible » de tout contrôler, augmentant d’autant l’appétit des trafiquants. C’est cette démesure, dont l’actualité se fait régulièrement l’écho, qui donne tout son poids à ce thriller au pays des dockers. Où chacun mène, finalement et avant tout, une guerre contre lui-même.

La photographie magnifie la ville remodelée par l’architecture Perret, après sa destruction durant la Deuxième guerre mondiale, un paysage urbain jalonné d’immeubles emblématiques et d’envolées symboliques. Mais le réalisateur Vincent Maël Cardona s’attarde surtout sur les visages de ces enfants du port, jeunes ou moins jeunes, dont le destin est façonné par la dureté du monde du travail : dockers, marins, transporteurs…

Portée par une cohorte de comédiens habités et d’une grande justesse et par le souffle d’un récit tragique et tentaculaire, la série ne relâche jamais son étreinte, alternant les plongées dans les abysses et les plans lumineux. Olivier Gourmet, patriarche et narrateur, Astrid Whetnall (Baron Noir), matrone autoritaire ; Panayotis Pascot, en fiston flirtant avec les interdits ; Margot Bancilhon, en sœur fidèle (sacrée meilleure actrice lors du Festival Séries Mania pour ce rôle) ; Pierre Lottin, en fils maudit, mais aussi le rappeur Gringe, en flic idéaliste et Eliane Umuhire (vue dans Augure), en clandestine menacée, donnent tous le meilleur d’eux-mêmes au service de ce polar viscéral naviguant en eaux troubles.

Karin Tshidimba

Nb: Si c’est bien le Havre qui apparaît à l’écran, toutes les scènes de travail et de vie sur les docks (bureaux, vestiaires,…) ont été tournées à Anvers.