Les Chevaliers de la table ronde, Robin des bois, Ivanhoé, Les Rois maudits… Les héros issus du Moyen Âge pullulent et avec eux les imaginaires qui les enserrent, mélange d’effroi et de curiosité. De « Game of Thrones » à « The White Queen » en passant par « The Witcher », un livre décrypte cette passion mêlant ors et ombres…
Des ruelles sombres et étroites traversées de ruisseaux malodorants, une population crasseuse et vieillie avant l’âge, rassemblant des individus rondouillards et pouilleux ou édentés et bossus. Et, tout à fait à l’autre bout du spectre social, des châteaux imposants éclairés de mille bougies où chevaliers et gentes dames s’adonnent aux plaisirs de joutes flamboyantes et de banquets opulents. Cruel ou fascinant, le Moyen Âge charrie son lot d’images d’Épinal qui ressurgissent indépendamment du fait qu’elles semblent avérées ou non.
Ainsi les séries médiévalistes sont avant tout construites sur une dynamique de combats, qu’ils soient épiques ou magiques. Au départ (dans les années 50 à 70), elles mettent en scène des chevaliers solitaires, le plus souvent d’ascendance noble, aux aventures pratiquement interchangeables. On songe notamment à Thierry la Fronde, Ivanhoé, Lancelot ou Robin des bois. Mais ces héros répondent à de nombreux stéréotypes : à la valeur morale et la vaillance physique répond une faible profondeur psychologique. En dehors de ses aventures, le héros n’est rien ou, du moins, ne semble pas avoir de vraie vie.
Chevalier ou paysan
À partir des années 80, les séries médiévalistes s’affranchissent peu à peu de ces schémas et proposent une plus grande variété narrative. Pourtant, le Moyen Âge reste toujours perçu comme une période brutale – la mort restant ancrée au cœur de tout récit historique – mais paradoxalement aussi nettement plus simple (par les enjeux décrits) que notre société contemporaine. Il s’agit avant tout de survivre et de servir son maître – quand on est servante ou paysan – et de se marier et de faire la guerre, quand on est vassal ou chevalier. Alors que la société médiévale présentait des rouages autrement plus complexes. Le Moyen Âge, qui s’étend sur près de mille ans (476 à 1453) comme nous l’ont appris les historiens, est forcément une période riche et diversifiée, n’en déplaisent aux scénaristes et conteurs.
Le thème guerrier est ainsi une constante dans les séries médiévalistes, avec des héros qui évoluent dans un monde où la violence et la guerre sont omniprésentes. “Les séries médiévalistes reposent surtout sur une mise en scène du pouvoir et de sa démonstration constante”, note Justine Breton dans son passionnant ouvrage “Un Moyen Âge en clair-obscur” paru aux Presses universitaires François-Rabelais.
Fourmillant de détails, d’extraits et d’exemples concrets, le livre balaie un corpus impressionnant de 81 séries, diffusées entre 1949 et 2022 et dont 70 % datent du XXIe siècle, prouvant que, comme l’avançait Umberto Eco en 1995, “Le Moyen Âge est quelque chose dans lequel nous vivons toujours.” Cette citation, inscrite en guise d’introduction, pose le cadre de sa recherche qui, si elle se penche principalement sur les séries, prend de nombreux films à témoin de cette passion médiévale persistante qui anime le grand public. “Les séries télévisées contribuent à entretenir cet intérêt pour le Moyen Âge” tout en continuant à en diffuser des images biaisées… L’amour n’excluant pas l’égarement…
La mise en scène du Moyen Âge dans les séries repose fréquemment sur une incompatibilité entre la réalité historique – ce que l’on en sait – et ce que le public souhaite voir. “Le spectateur attend une certaine image de cette période, largement inspirée notamment des œuvres de fantasy.” La représentation du Moyen Âge doit parvenir à concilier une image fidèle du passé, qui ne provoquera pas la colère des Historiens, et des attentes contemporaines, notamment du point de vue moral et éthique. L’attachement du public à tout nouveau héros ou nouvelle héroïne est à ce prix. Le genre en télévision se caractérise donc par un habile jeu d’alternance entre véracité et illusion.
”L’important n’est pas la représentation exacte de la période médiévale, mais l’impression du vrai.” Les séries mettent notamment en avant la différence entre un monde figé et obscur (arriéré) et “l’image d’un héros dynamique et agissant”, note Justine Breton. Le Moyen Âge n’y est envisagé que sous le prisme de la noblesse et les gens du peuple (artisans, commerçants) tout comme les membres du clergé disparaissent complètement de l’histoire officielle telle qu’elle nous est contée, accentuant encore un mouvement qui veut que l’Histoire est avant tout celle des gens de cours et des grands artistes qui ont marqué l’époque.
Le jeu des 7 erreurs
Même si, avec le temps, les séries médiévalistes tendent à mettre en scène des types de personnages plus variés et généralement complémentaires pour susciter l’identification d’un public plus large. Le Moyen Âge reste souvent représenté comme une période en creux : entre l’aura de l’Antiquité et de la Renaissance. Une identité fondée sur la mauvaise réputation des “Âges dits obscurs où l’ignorance domine et cause de fréquents ravages” (guerres, maladies, etc.)
Au jeu des sept erreurs et des anachronismes, les séries médiévalistes emportent souvent le gros lot : en mêlant des lieux fictifs et réels (comme dans Game of Thrones), en proposant une relecture a posteriori de faits qui ont marqué une époque, comme si les protagonistes soupçonnaient déjà les conséquences fâcheuses de telle mort ou de telle naissance (comme dans la séquence initiale des Piliers de la Terre)… En proposant une vision biaisée de la réalité qui condense les drames et néglige le quotidien. Et on ne parle même pas des cartes aériennes qui fourmillent dans les récits sériels (avant une bataille ou une expédition importante), mais qui n’existaient pas car elles ne correspondaient absolument pas aux connaissances et aux conceptions de la géographie à l’époque… C’est notamment le cas dans Game of Thrones ou The Last Kingdom…
Face aux injonctions contradictoires du public, de plus en plus de séries reproduisent des schémas préétablis. Destruction et mort deviennent ainsi des attentes liées au récit médiévaliste mais aussi une “supposée nécessité pour son succès”. Sans compter la problématique des agressions sexistes et sexuelles contre les femmes et de la place de celles-ci dans le récit qui ne peut ni être ignorée, au risque de perdre toute une partie du public potentiel, ni exagérée au risque de provoquer des levées de boucliers. À nouveau, tout est question de dosage prouvant que le Moyen Âge est bien loin d’être une période simpliste…
Passionnés par cette époque ? Les séries The Witcher (Netflix) et House of the Dragon (Be tv) ou les films Excalibur (proposé ce lundi sur Arte) et Jeanne d’Arc (à voir jeudi sur RTL-TVI), entre autres, vous permettent de prolonger cette immersion.
Karin Tshidimba
Un Moyen Âge en clair-obscur, Justine Breton, Presses universitaires François-Rabelais, 398 pp., 28€
Commentaires récents