Katell Quillévéré est coauteure et coréalisatrice, avec Hélier Cisterne, de la série Le Monde de demain  sur Arte. Ils ont eu envie de revisiter le tournant des années 80 qui a vu l’émergence du hip-hop et la formation du groupe NTM. L’occasion de parler, avec eux, de leur adolescence, du film « 8 Mile », de l’agression de Malik Oussekine, de la misogynie du rap… Entretien.

« On a grandi avec ce mouvement, cette musique. On était ados au milieu des années 90 quand les rappeurs sont devenus des stars. On ne se connaissait pas encore, Hélier et moi, mais, chacun de notre côté, on écoutait cette musique, explique Katell Quillévéré, coauteure et coréalisatrice de la série Le Monde de demain. Cette musique nous plaisait par son aspect contestataire. On se demandait comment cela faisait qu’il n’y avait aucun film, aucune série sur ce groupe et cette musique devenue majoritaire en France pour la jeunesse. On a creusé son histoire pour savoir d’où elle venait et comment elle est née. En sondant cette époque, c’est devenu encore plus passionnant. Et lorsque les planètes se sont alignées et qu’on a pu faire la série, il était évident pour nous qu’on ne parlerait pas seulement du hip-hop mais aussi de la jeunesse en miroir de celle d’aujourd’hui. »

Sur la piste du film « 8 Mile »

Nullement fétichiste de la fin des années 80, le duo « savait que NTM était bien plus qu’un groupe de rap. Ils étaient danseurs et graffeurs avant même d’être un groupe emblématique de ce côté contestataire et sulfureux. C’était tout sauf de bons élèves et des garçons sages ! Les personnages nous intéressaient mais, surtout, leur parcours particulier nous permettait de raconter l’histoire d’un mouvement dans son ensemble. On ne voulait pas faire un biopic de NTM… mais on pensait que la série était le moyen le plus adapté pour développer les détails de cette histoire. Par exemple, on aime beaucoup le film 8 Mile sur la vie d’Eminem qui raconte des moments de l’Histoire d’une vie et d’un pays », précise Hélier Cisterne, coauteur et coréalisateur.

« La série s’appelle Le Monde de demain parce que c’est un titre phare du groupe NTM qui les a fait connaître et clôt la dernière année que l’on traite (1991). Il invite les gens à se questionner sur leur jeunesse et les jeunes d’aujourd’hui à y trouver du sens. » En écrivant la série, les auteurs se sont plongés dans cette décennie d’un point de vue historique, sociologique. « Pour nous, c’est évident qu’il y a un miroir tendu vers 2020. La gauche est au pouvoir mais il y a tout un climat d’espoirs déçus. C’est l’arrivée de Pasqua en France, le climat se tend entre la police et les jeunes. C’est l’époque des premières émeutes. L’agression de Malik Oussekine fait penser évidemment à la mort d’Adama Traoré. Il y a tout un contexte qui émerge« , note Katell Quillévéré.

Le miroir de son époque et au-delà

« Les échos avec aujourd’hui sont aussi dans la misogynie du rap, dans beaucoup de choses négatives qu’on constate tous : ce statu quo qui existe dans notre société depuis 30 ans et dont on espérait qu’il change tout seul. Le fait que les élites font semblant d’écouter la jeunesse des banlieues ou s’étonnent que la société française soit métissée alors que cela fait des décennies que c’est le cas partout dans les villes en France. Le statu quo est aussi dans ce que raconte Lady V sur son statut dans le milieu par rapport aux garçons ou ce que Béatrice dit sur ce qui lui est arrivé », poursuit Hélier Cisterne.

Pourtant le duo ne veut pas que la série apparaisse comme plombée par ces problèmes de société. « Il y a aussi une dimension joyeuse que la série veut transmettre : l’idée de cette jeunesse qui se forge une identité, une culture, qui se met à exister médiatiquement alors qu’on ne voulait pas d’elle et qu’elle n’était pas reconnue. C’est une prise de parole et de pouvoir qui est une invitation pour la jeunesse d’aujourd’hui. Il y a ce mélange de poésie, d’énergie et de révolte très beau et puissant. Alors que cette jeunesse n’avait rien » souligne Katell Quillévéré.

Une envie de vivre énorme

Une énergie captée grâce à un dispositif filmique léger (caméra à l’épaule le plus souvent) qui montre la vitalité d’un milieu où rien n’est figé, tout bouge tout le temps, « tout s’improvise ».

« Il y avait une énergie de vivre, une envie de découverte énorme, il fallait que la caméra en rende compte. Que leurs rapports soient violents ou doux, ils avaient cela en commun. Cette part de frustration et ce désir de vivre plus fort que tout. C’était présent dès l’écriture », entamée deux ans avant le tournage, précise Hélier Cisterne. « Ils sont tout le temps en recherche du système D, comme nous l’étions aussi. Cette part de frustration existe dans tous les projets séries et cinéma où on n’a jamais les moyens ou le temps voulu. La série a accompagné leurs pas, ces découvertes concrètes, très physiques. Ces gens ne bavardaient pas autour de théories, ils dansaient, créaient, répétaient. Il fallait qu’on les voit faire » et le duo a beaucoup recherché les « danses et comportements de l’époque » pour y parvenir.

L’objectif de la série n’est pas de raconter le succès d’un groupe mais « toutes ces petites choses qui font que leur vie ressemble à la nôtre et qu’on peut aussi s’y projeter. Le défi était de réussir notre casting au-delà des deux NTM : Franck et Dee Nasty, les deux DJ, mais aussi Lady V et Béatrice, Solo, etc. Il fallait qu’ils soient crédibles parce que leur incarnation comptait beaucoup dans leur façon d’être. » Ceci afin que les fans y retrouvent une richesse, « une justesse et une sincérité. » 

Un regard sur l’adolescence d’hier et d’aujourd’hui

La série a d’ailleurs été écrite en collaboration avec toutes les personnes concernées qui ont vécu cette période: JoeyStarr, Kool Shen, DJ S,…
« Mais c’est aussi une série qui dépasse son époque et le hip-hop, elle s’adresse à la jeunesse d’aujourd’hui. La question au cœur de la série est : comment devenir soi-même. À l’adolescence, il y a ce moment crucial où on doit intégrer la société d’une façon ou d’une autre, on doit faire un choix mais on ne sait pas forcément qui on est ou qui on veut être. On sent confusément ce qu’on refuse. Devenir soi-même passe nécessairement par le refus. C’est ce qu’ont ressenti tous ces gamins qui ont inventé le hip-hop en France. Ils ont réussi à l’exprimer. C’est à la fois beau et fort« , souligne Katell Quillévéré.

Entretien: Karin Tshidimba