L’après-crise sanitaire a dopé l’envie de découvrir de nouveaux univers, de nouveaux talents. On en a parlé avec Laurent Duvault de Médias Participations, agence spécialisée dans les droits d’adaptation de romans et de bandes dessinées francophones très recherchés. Il évoque les projets de fictions sonores, séries et animations actuellement en gestation.
La crise sanitaire n’a pas tout arrêté. Sera-t-elle favorable aux projets d’adaptations de livres francophones ? C’est l’une des hypothèses de Laurent Duvault, directeur du développement audiovisuel chez Média Participations, l’une des plus grandes agences de droits d’adaptation de livres.
« Nous représentons les maisons Dargaud, Dupuis, Le Lombard, soit 4 000 BD ; mais aussi Le Seuil, La Martinière, L’Olivier, soit 100 000 romans. Environ 85 % de nos activités concernent des producteurs francophones et les 15 % restants sont étrangers : Britanniques, Américains et même Chinois. Aux États-Unis, ils sont très proactifs. Comme les tournages sont reportés, il y a une énorme soif de trouver de nouveaux contenus, de nouveaux sujets. Pour une fois, ils ont un peu de temps pour lire, ils ont donc tout de suite voulu mettre cela à profit. »
Le temps d’avance des plateformes sur les chaînes
Selon Laurent Duvault, « les vrais gagnants de cette crise vont être les plateformes« . Car elles ont une véritable indépendance financière : leur budget de création « n’est pas lié aux revenus publicitaires en chute libre durant la crise. Au contraire, elles ont vu leur taux d’abonnement exploser. Elles n’ont donc pas arrêté leur activité. » Comme les chaînes traditionnelles, les plateformes recherchent des contenus inédits. Mais elles ont un autre avantage sur les chaînes : « Elles prennent des décisions plus vite et sont capables de financer beaucoup voire toute une série. Ce qui n’est pas le cas en télévision où il faut deux pays pour soutenir un projet de série et trois pays pour faire du dessin animé. »
Le confinement a suscité des rêves de changement. « Beaucoup de producteurs nous ont dit qu’ils voulaient lire très vite des projets afin d’être prêts à tourner dès que le feu vert serait donné mais ils se sont heurtés à une certaine réalité : les chaînes ne pouvaient pas prendre des décisions avant que les inconnues financières ne se dissipent. Les producteurs se sont retrouvés bloqués. » Finalement, les personnes qui ont le plus travaillé, ce sont les scénaristes disponibles pour faire avancer les projets. « Les plateformes n’ont pas dû attendre pour choisir ce qu’elles mettraient à l’antenne l’an prochain. »
Autre différence majeure : les producteurs cherchent des projets qui « rentrent dans les cases des chaînes » ; pour séduire les plateformes, ils peuvent élargir leur horizon. « Elles ne cherchent pas forcément un héros récurrent ou une série procédurale à décliner sur des dizaines d’épisodes. Elles préfèrent l’idée d’une mini-série comme Into the night , projet belge sur Netflix. Les platefomes sont plus libres dans leur choix » éditorial et toutes cherchent l’idée qui les fera sortir du lot.
Tous les producteurs nous appellent pour faire de la télévision
« La question, aujourd’hui, est : qu’est-ce qu’on fait et pour quel budget ? » Même éditorialement, cette crise a un impact, « certains se disent qu’il faut repartir sur des projets plus légers car la situation est déjà suffisamment anxiogène. On se pose beaucoup de questions sur l’après-confinement et sur l’éventuel besoin de sujets feel good « , souligne Laurent Duvault.
Au fil des mois, la croissance de la télévision par rapport au cinéma se confirme. « Le nombre de contrats signés pour la télévision a été multiplié par deux en un an. On est passé d’une trentaine de projets TV à plus de 80. Nous avons cinquante contrats en négociations dont près de quarante pour la TV et le reste pour le cinéma. Avant, c’était l’inverse. » Une situation due à l’émergence des plateformes et au temps de gestation des projets, plus court en télévision : 2 ou 3 ans contre 5 à 7 ans au cinéma. « La crise a renforcé la tendance à consommer de la fiction sans sortir de chez soi. Cela complique la relance du cinéma et nous fait réfléchir malgré notre succès avec les Ducobu, BD belge, par le passé. »
« Tous les producteurs nous appellent pour faire de la télévision. Même ceux qui ne faisaient que du cinéma sont obligés d’y penser pour garder leur structure et équilibrer leurs coûts et leurs projets. »
L’animation apparaît comme une solution en ces temps d’incertitudes autour des tournages. « Dans sa grille de rentrée, la Fox mise sur l’animation qui a pu continuer à être produite pendant la crise. Il n’y aura presque aucun programme live. »
L’animation est une valeur sûre qui voyage facilement à l’international. « Ce sont souvent des comédies : les héritiers des Simpson, Bob’s burger, American Dad, South Park, etc. L’animation adulte est de plus en plus appréciée. » Et se diversifie avec la science-fiction et le polar. « C’est une façon de faire vivre les marques. Après deux saisons d’ Altered Carbon , Netflix a créé un animé au Japon. Ils parlent d’en faire un pour The Witcher car ils ne peuvent tourner 8 épisodes en moins de deux ans. »
L’animation peut aussi venir en soutien de certains contenus. « Le final de Blacklist saison 7 ne pouvait pas être postposé. Dans l’épisode diffusé en mai, il y avait donc une partie en animation pour remplacer les scènes qu’ils ne pouvaient pas tourner. C’est une solution totalement inédite. »
Les parents et les enfants ont redécouvert les joies des podcasts
L’adaptation de romans ou de bandes dessinées ne passe pas uniquement par l’image. « Pendant le confinement, il y a eu une explosion de la consommation d’histoires sur les plateformes audio. Les parents ont redécouvert les joies des podcasts. On est passé du livre audio qui est le livre « lu » aux séries audio qui sont des vraies séries avec personnages multiples, ambiance sonore, suspense, etc. Ce sont de ‘vrais dramas’ ou feuilletons sonores. C’est un nouvel espace de création pas cher, centré sur l’histoire, qui permet de trouver de nouveaux publics« , souligne Laurent Duvault.
Média Participations représente BD et romans existants mais de jeunes auteurs créent aussi de nouvelles séries audio sur le modèle de Calls, la série audio de Canal « dont le format a été vendu pour être rejoué par des acteurs aux USA. Certains espèrent que ces séries audio seront assez fortes pour être aussi adaptées en live action « . De la même façon, certains achètent des BD pour les adapter en séries sonores. « C’est un défi passionnant. On a une dizaine de projets francophones en développement, mais il est encore trop tôt pour en parler. » Une façon de suivre l’exemple de Neil Gaiman (American Gods) dont la BD Sandman va être adaptée aux États-Unis par Netflix « cette année ou l’année prochaine. Dans le même temps, ils organisent un grand lancement, avec des acteurs de théâtre, pour un feuilleton radio bientôt disponible sur la plateforme Audible, avant même la série live« , explique-t-il.
Entretien: Karin Tshidimba
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