Le réalisateur français Éric Rochant va bientôt développer des projets d’écriture et de réalisation de séries aux États-Unis. Succès critique en Belgique (sur Be tv), en France (sur Canal+) et à l’export, la saison 5 du Bureau des Légendes sera-t-elle la dernière ? Suspense. En attendant la réponse, on revient sur les 5 clés de son succès.

En 2016, Le Bureau des légendes est devenu la série française ayant généré le plus de revenus à l’étranger devant Les Revenants et Engrenages (deux autres séries estampillées Canal). Selon Federation Entertainment, coproducteur et distributeur de ce thriller, les deux premières saisons ont déjà rapporté près de 3 millions d’euros à l’export. Et la prochaine mise en chantier d’une adaptation US, baptisée The Department, devrait permettre de garnir à nouveau sa bourse tout en finissant d’asseoir sa légende. Pourtant quelques nuages barrent son horizon, en France.

Signature en or

Éric Rochant vient de signer un contrat avec une célèbre agence américaine afin de le représenter dans ses futurs projets aux États-Unis. Le site américain Deadline parle « d’opportunités de réalisation et d’écriture » sans que l’on en sache davantage, à ce stade. Cette annonce semble pourtant devoir sceller le destin du Bureau des légendes, sa série d’espionnage produite par Canal+ et diffusée aussi sur Be tv, remarquable à plus d’un titre, mais extrêmement énergivore en termes d’écriture et de production.

Savoir-Faire

Outre la qualité de la réalisation et des scénarios qui assurent – par contrat – à la série, l’utilisation du logo officiel des services secrets français (la DGSE) – le savoir-faire d’Éric Rochant est son meilleur atout. Un excellent « retour sur investissement », est-on tenté d’écrire pour celui qui a choisi de venir se former directement auprès des grands showrunners américains lorsqu’il a voulu se lancer sur le terrain de la série. Pour tenir le rythme d’une saison par an, il a en effet fallu mettre en place un système (composition des équipes et répartition des postes) calqué sur celui en vigueur aux États-Unis mais totalement inédit en France.

Une réussite d’autant plus atypique qu’elle est le fait d’un cinéaste qui, une fois de retour à Paris, a réussi à rassembler toutes les étapes de la création en un seul lieu (ou presque) : écriture, tournage et montage dans un vaste studio parisien, pour toutes les scènes intérieures. « Être là tout le temps partout » c’est la méthode KZK (selon les initiales des frères Kessler et de Daniel Zelman, le trio à l’origine des séries Damages et Bloodline), le tout adapté à la mode Rochant.

Au service du scénario

Éric Rochant est celui qui est parvenu à faire en sorte que de multiples réalisateurs se mettent au service du scénario du BDL en se concentrant uniquement sur la mise en scène. Une méthode employée depuis longtemps par les séries anglo-saxonnes, où les réalisateurs se succèdent au fil des épisodes avec un cahier des charges commun. Le cinéaste a en outre fait appel à de jeunes cinéastes désireux d’apprendre à travailler sur une série. Ce qui explique la longue liste de réalisateurs impliqués dans la saison 5, dont le tournage vient de s’achever.
Le showrunner a agi de même avec les scénaristes, associant des auteurs confirmés à des plumes débutantes afin de mieux répartir le processus d’écriture et réduire le temps d’attente des fans de la série.

Les impératifs de temps et d’augmentation des équipes d’écriture ont fatalement entraîné une croissance du budget acccordé à la série. Ainsi, depuis 2015, le budget du BDL est en hausse, avec des montants de l’ordre d’un million d’euros par épisode.

Dans les coulisses des services secrets

Passionné par les séries et la géopolitique à l’œuvre au sein du monde de l’espionnage, le réalisateur français a décidé de plonger dans le bain après la sortie de son film Möbius (2013), conscient que seule la série permet « un travail sur la longueur […] un univers qu’on peut fouiller de façon méticuleuse et soignée sur plusieurs saisons ».

Avec son style ultra réaliste, très éloigné des performances et des explosions à la James Bond, Le Bureau des légendes s’est taillé une place de choix parmi les séries françaises saluées sur la scène internationale. Créée en 2014, la série a inscrit 5 saisons dans les coulisses des services secrets français avec l’approbation de la très officielle DGSE.
Une sorte de retour à l’expéditeur puisque son film Les Patriotes, sorti en 1994 avec Yvan Attal dans le rôle-titre, est projeté, aujourd’hui encore, aux jeunes recrues par les formateurs de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) en guise de mise en bouche… Une dizaine d’années plus tard, bien que les hauts gradés du boulevard Mortier gardent toujours officiellement leurs distances, le rapprochement entre le producteur et ses inspirateurs a permis à la série de coller au plus près de la réalité.

Saison 5, et fin ?

La diffusion de la saison 5 (dix nouveaux épisodes) est attendue au printemps 2020. Aux côtés de Jacques Audiard (Un prophète, Les Frères Sisters) qui a rejoint les réalisateurs en titre, on compte Jérôme Salle, Thomas Bidegain, Mathieu Kassovitz, Anna Novion, Samuel Collardey et Éric Rochant. Côté casting, Louis Garrel ajoute son visage au sein de ce roman d’espionnage en images porté par Mathieu Amalric, Sara Giraudeau, Florence Loiret-Caille et le Belge Jonathan Zaccaï.

Fourbu, exténué, Éric Rochant avait déjà laissé entendre que cette saison 5 pourrait être la/sa dernière… L’hésitation sur le déterminant à utiliser laisse planer le doute sur une possible reprise de la série par un nouveau chef d’orchestre. À ce poste convoité, mais lourd à porter, certains voient se profiler la carrure de Jacques Audiard, en charge de deux épisodes de la saison 5. Mais, pour le moment, le suspense reste entier.
L’annonce du départ de son concepteur au pays de l’Oncle Sam est donc potentiellement une mauvaise nouvelle pour la série et pour Canal…

Karin Tshidimba