« Jacqueline Sauvage est le porte-drapeau de toutes ces femmes battues auxquelles on pense en découvrant son parcours. » Muriel Robin et Alix Poisson ont été extrêmement touchées par leur recontre avec Jacqueline Sauvage et par la transposition de son affaire en mini-série pour TF1. Les deux comédiennes parlent de leur mobilisation au-delà de la fiction Jacqueline Sauvage: c’était lui ou moi** réalisée par Yves Rénier, à découvrir ce dimanche à 21h sur La Une et lundi à 21h sur TF1.
Rencontres à La Rochelle.

« J’ai  rencontré Jacqueline Sauvage 4 ou 5 mois avant le tournage, de manière courte car il ne s’agit pas d’un biopic et l’idée n’était pas de reproduire ses gestes… La narration passe par moi et par le formidable travail de maquillage et la perruque pour m’effacer derrière le personnage. Une fois que la transformation physique est réussie, on est accaparé par le sujet et par la qualité du jeu des acteurs autour de soi. Il y a un instinct commun. Un ressenti qui vous relie au personnage. C’était une partition compliquée qui demandait de la concentration même si tout passe par le texte et les dialogues. Il y avait le devoir que ce film soit réussi car tout ce qui aurait été raté l’aurait été au détriment du sujet car la star, c’est le sujet. Jacqueline est le porte-drapeau de toutes ces femmes battues auxquelles on pense en découvrant son parcours » explique Muriel Robin au lendemain de la projection dans le cadre du Festival de la Fiction TV de La Rochelle.

Muriel Robin (Jacqueline Sauvage)

Une histoire qui marque et une responsabilité

Un récit violent qui laisse des traces indélébiles.
« Les scènes de violence, elles ont beau être fausses, elles doivent quand même être un peu vraies. Quand Olivier – que je trouve exceptionnel et magistral dans son rôle – joue ces scènes, il est obligé de m’attraper vraiment car je fais mon poids, j’ai ma carrure, je ne suis pas tout à fait Kate Moss, donc il faut y aller vraiment. Quand Olivier me traîne par terre, cela n’impacte pas que nous, cela impacte toute l’équipe. On était tous très secoués. Et quand on pense aux femmes qui vivent vraiment cela… Comme, dans une fiction, on tourne par décor, on a tourné toutes les scènes de violence les unes après les autres, dans cette maison. On a eu dix jours de violences avec un week-end au milieu. Quand on s’est retrouvé le 2e lundi, on en avait tous rêvé… Parce que c’est impossible, cette histoire ! Que 150 femmes meurent chaque année sous les coups de leur mari, faute d’une main tendue. Elles ne sont pas suffisamment aidées. On ne va pas faire plus pour les animaux que pour les femmes qui meurent parce qu’elles sont moins fortes que leur mari. Ces chiffres sont inadmissibles » s’insurge l’actrice.

Une responsabilité dont parle très bien sa partenaire, la comédienne Alix Poisson qui joue l’une des deux avocates de Jacqueline Sauvage, femme battue condamnée pour le meurtre de son mari après 47 années d’enfer domestique.

« Quand je reçois un scénario, je me pose la question : est-ce que c’est vital ? On sait bien que cela ne peut pas toujours l’être, mais quand même. Quand j’ai décidé de devenir comédienne à l’âge de 8 ans, je ne voulais porter que des sujets pour changer le monde. C’était très naïf et utopique, évidemment, sauf qu’à un moment face à un scénario, je me demande si ce sujet est essentiel pour le public ? Face à un sujet comme celui-là, peut-être qu’il y aura deux, cinq, dix ou cent personnes, sur les millions qui vont le regarder, dont cela va changer la vie. Car certains films ont changé ma vie, au cinéma comme à la télévision. […] Ici, comme l’a dit Muriel, c’est une parole que l’on porte. J’étais vraiment heureuse, fière et honorée de porter la parole de Nathalie Tomasini et Jacqueline Bonaggiunta » souligne l’actrice qui poursuit son plaidoyer.

« Et si lors de la diffusion il y a des personnes que cela bouleverse et qui se disent : j’ai une suspicion que cette femme vit la même chose et je n’ose pas mais là, je vais agir… On aura gagné. C’est un film sur un tabou, un film sur le courage de porter plainte ou de partir. A quel moment a-t-on le courage de parler pour les autres ? Cela ne parle que de cela, mais ça me rend heureuse et ça me galvanise de porter ce message. C’est le principe de l’effet papillon : cela peut donner la force à certaines personnes de bouger. C’est une des vertus de notre métier d’éveiller des consciences. Il y a forcément des gens dont cela va changer la réflexion et c’est d’autant plus important que cela passe à la télévision. La télévision induit une plus grande proximité avec le sujet. Et puis certains vont regarder la fiction parce que c’est Muriel Robin, c’est important aussi. »

Des fictions qui « changent le regard et la donne »

Pour Alix Poisson, l’engagement du métier d’acteur n’est pas un vain mot, il passe notamment par des fictions qui permettent de « changer la donne ». « On est dans un système très patriarcal et on minimise l’emprise de ces hommes violents sur leurs femmes. On oublie souvent que tout cela débute par une histoire d’amour, qu’il y a chantage et que souvent, les femmes croient qu’elles pourront soigner ou guérir leur mari. » « On ne part quand on n’a pas de fiches de salaire, quand on bosse du matin au soir, quand on a quatre enfants en bas âge et qu’il faut faire tourner l’entreprise. Il y a des tas de détails de la vie quotidienne qui font qu’on arrive épuisée à 22h et qu’on reporte sans cesse la question au lendemain. Sans oublier, la honte, comme dans les cas de viol » insiste Muriel Robin.

En photo, ci-dessous, les Belges Erika Sainte et Laura Sepul entourent l’actrice Samantha Rénier dans le rôle des filles de Jacqueline Sauvage.

Il faut tendre la main aux victimes

« Jacqueline Sauvage me l’a dit : ‘je vais donc dire que l’homme que j’aime – parce qu’au départ, elle l’a vraiment dans la peau -, me bat’. C’est tout cela qui fait que ça fige la situation. Parce qu’on sait qu’il n’y a pas d’issue… Donc, à un moment, il va falloir éduquer les gamins à l’école et mettre des peines plus lourdes pour les hommes et former les policiers dans les commissariats pour avoir les bons gestes, les bons mots. Et légiférer sur cette question de la légitime défense. Ce problème n’est pas assez considéré et on est tous là pour faire en sorte que les choses bougent. C’est la responsabilité de chacun : voisins, policiers, acteurs, la presse, etc. Il faut se mobiliser comme l’a fait Line Renaud pour le sida. C’est un film militant et citoyen, en plus d’un très beau rôle à défendre. Lors de la projection, on a vu l’émotion, les gens debout dans la salle et on a entendu les compliments, mais il faut surtout continuer à penser à toutes ces femmes anonymes et rester mobilisés » poursuit la comédienne.

« C’est tabou parce que c’est très compliqué d’admettre le monstre devant soi, il faut déjà passer ce cap et admettre que ça peut arriver dans n’importe quel milieu. C’est le tabou qui bloque tout », renchérit Alix Poisson. « On est à l’aube de beaucoup de changements pour les femmes, on espère que le film aidera à faire bouger les choses » conclut Muriel Robin.

Karin Tshidimba, à La Rochelle