La question se pose alors que s’ouvre la 20e édition du Festival de la Fiction TV de La Rochelle. Plus de 35 000 spectateurs et 2 200 professionnels de l’audiovisuel y sont attendus jusqu’à dimanche afin de découvrir 42 fictions inédites françaises et internationales présentées en compétition.
Aux côtés des 25 œuvres françaises soumises au vote du jury, présidé par la comédienne belge Marie Gillain, on pourra découvrir 10 fictions européennes (dont 2 séries flamandes) et 7 fictions francophones étrangères.Une façon de souligner le combat au profit de la fiction en langue française mené par le Festival face aux nombreuses séries américaines, indiennes, asiatiques ou turques qui inondent la planète. L’édition 2018 sera aussi l’occasion de découvrir trois séries venues d’Afrique : Invisibles, série ivoirienne (Canal+ Afrique) ; Oasis, série togolaise, et River Hotel, série congolaise produite par TV5.
Malgré cette diversité d’horizons domine une impression de manque de diversité de l’offre fictionnelle, comme l’a fait remarquer Yves Bigot, patron de TV5 Monde et président du comité de sélection 2018.


Une majorité de meurtres

« La fiction française a beaucoup progressé sur la question de la représentativité de la société française en intégrant des Africains, des Maghrébins, des couples homoparentaux… Le travail est fait de façon remarquable. Mais le manque de diversité est avant tout thématique. C’est frappant pour nous qui avons fait du ‘binge watching’ pour départager les programmes en compétition. Le fait de les regarder en peu de temps fait qu’on baigne dans ces histoires, on n’a donc pas la même impression que les téléspectateurs qui découvrent ces séries au fil d’une saison. »

Yves Bigot parle même de « tendance écrasante aux meurtres, enlèvements, familles dysfonctionnelles, couples infernaux et maladies terminales, souvent réunis au sein de la même fiction… Avec succès, il faut bien le reconnaître, car toutes ces séries fonctionnent très bien. Mais cela pose problème car il ne reste plus beaucoup de place pour les autres genres : comédies, biopics, fictions en costumes, transgression, fantastique, etc., genres qu’on ne retrouve plus que sur les petites chaînes (C8, France 4) ou les services en ligne (YouTube premium) qui, eux, s’emparent de ces genres délaissés. »

L’appel des audiences

Cette passion pour les « murder mysteries » donne une vision pesante de la société… « C’est très clair. On peut tenter de dire qu’il y a les talk-shows pour compenser et que cela fait équilibre sur les chaînes… Je ne blâme pas les diffuseurs parce que ces programmes enregistrent des audiences remarquables, ce qui prouve qu’ils sont attendus par le public. Et puis, on ne découvre pas aujourd’hui la grande popularité du polar et du thriller, genres qui ont toujours très bien fonctionné. Mais nous avons été interpellés par le fait que la proportion soit aussi écrasante. Cette noirceur dit quelque chose de la psyché française dans ces années post-attentats, baignées de fake news. Nous ne sommes pas sociologues mais cela nous a frappés. »

C’est aussi un cercle vicieux : le succès des polars et thrillers renforce les chaînes dans l’idée d’en produire d’autres…
« C’est clair que les scenarii façon Cluedo sont accrocheurs. En même temps, si on regarde les séries européennes, on voit qu’il y a moyen de faire monter la tension sans meurtre ou disparition d’enfants. Bien sûr, la sélection ne représente pas 100 % de la production française, elle est le reflet d’un moment de l’année. D’autant que Canal présente ses fictions hors compétition. Il n’empêche : il faudrait songer à assurer davantage de diversité » insiste Yves Bigot.

Entretien: Karin Tshidimba

En illustrations: A l’intérieur série France 2 avec Béatrice Dalle; Jeux d’influence série Arte avec Alix Poisson