Grand cinéaste des luttes ouvrières et des questions de domination sociale, Rainer Werner Fassbinder a aussi travaillé pour le petit écran; l’éducation et le divertissement des masses populaires ne pouvant le laisser indifférent. Ainsi sont nées « Le monde sur le fil » ou « Berlin Alexanderplatz », séries diffusées respectivement en 1973 et 1980.

Grâce au travail de restauration effectué par Carlotta Films, la série Huit heures ne font pas un jour*** sort opportunément de l’oubli dans lequel elle était tombée. Commandée par la chaîne régionale WDR, elle prend la forme d’une saga familiale, genre déjà très en vogue à l’époque, mais s’ancre dans l’Allemagne industrieuse des années 70, sujet forcément majeur aux yeux de Fassbinder. Mais qui semblera plus incongru ou subversif aux yeux de ses détracteurs.

En cinq épisodes, Rainer Fassbinder imagine une saga familiale positive, ancrée dans les luttes sociales.

En résultent cinq épisodes d’une heure et demie diffusés en prime time entre le 29 octobre 1972 et le 18 mars 1973, au rythme d’un épisode par mois. Autre époque, autres moeurs…
Rainer Fassbinder y relate l’histoire de Marion et Jochen (photo ci-contre), Grand-Mère et Gregor, ou Harald et Monika dans une saga qui a réuni, pour son premier volet, jusqu’à 25 millions de curieux. Un résultat qui trahit l’intérêt pour cette famille ouvrière de Cologne, tenace et débrouillarde, faisant front face à l’adversité avec courage et dérision.

Loyers trop chers, emploi précaire: rien n’arrête la famille Krüger

Agé de 27 ans à l’époque, Fassbinder fait alors le pari de la « lutte heureuse », la résistance pacifique, la « solidarité intelligente », bref, de l’utopie en marche. Une entreprise dans laquelle il est secondé par des personnages immédiatement sympathiques dont l’un est campé par la toute jeune Anna Schygulla, en femme solaire et décidée, et l’autre par la formidable Luise Ullrich, en grand-mère « indigne » et volontaire. Toutes deux ont en commun de ne jamais s’avouer vaincues et de fourmiller d’idées. Une philosophie de vie qui anime aussi Jochen (Gottfried John) géant à la face de boxeur, très attentif aux conditions de travail partagées par ses collègues de l’usine d’outillage dans laquelle on retrouve de nombreux comédiens de sa « troupe » habituelle*.

Huit heures - groupe.jpgA travers les trois générations qui composent la famille Krüger-Epp, Rainer Werner Fassbinder aborde les questions de lutte ouvrière, d’émancipation des femmes, d’immigration, de respect des enfants et des aînés, maillons souvent trop faibles, voire oubliés, de nos sociétés. Le cinéaste y multiplie les angles et points de vue originaux au service d’une mise en scène résolument chorale.

Refusant tout conformisme, Fassbinder imagine un couple de seniors amoureux, joyeux et prêts à défier l’absence de vision ou la gabegie financière municipale. Prouvant que les personnages de doux dingues et de Pierrots lunaires tel que Gregor (alias Werner Finck, l’amant de Grand-mère) sont ceux qui, grâce à leur liberté, font avancer les sociétés.

Chaque épisode est centré sur un duo de personnages – des couples mais pas seulement -, et les autres membres de la famille ne sont pas oubliés dans ce récit engagé où le quotidien apporte son lot de soucis, d’espoirs et de combats. Le tout dans une ambiance étonnamment légère et entraînante à l’instar de l’accordéon du générique.

Présenté lors du récent Festival Séries Mania à Lille, ce morceau de patrimoine sériephile est désormais disponible en DVD.

Karin Tshidimba

« Huit heures ne font pas un jour », coffret 3 DVD, Carlotta Films, avec bonus et livret.

nb: lire à ce sujet, l’article de notre collègue Fernand Denis dans la rubrique cinéma de La Libre Culture.