Prague, 1968. Comment l’espoir des étudiants a-t-il été étouffé ? C’est l’histoire que raconte la mini-série Sacrifice*** (Burning Bush) réalisée par la cinéaste Agnieszka Holland. La toute première fiction politique produite par HBO Europe, un récit en trois parties, montrée dès ce jeudi à 20h50 sur Arte.
«J’étais étudiante à l’école de cinéma de Prague (la Famu) à l’époque, et j’étais très engagée dans le mouvement étudiant» a expliqué Agnieszka Holland, lors de la présentation de sa mini-série en avril 2013 à Paris.
«C’est à ce moment-là que j’ai fait mon apprentissage, amer, de la politique. Cela a influencé ma vision du monde et des comportements humains. La question centrale de Burning Bush est: comment la société peut se résigner aussi rapidement, et quel est le moteur qui fait que, dans une situation de frustration, de répression, certains individus vont à contre-courant ? Je suis fascinée par les gens, les jeunes surtout, qui ont ce courage. Je pensais que c’était aux Tchèques de raconter cette partie de leur Histoire mais, finalement, HBO Europe était très heureuse de m’avoir aux côtés des trois très jeunes coscénaristes tchèques pour porter ce récit.»
Le pari est doublement réussi puisque cette mini-série en trois parties (3 x 80 minutes) a battu des records d’audience lors de sa présentation dans les pays de l’Est. Et elle a permis à la réalisatrice d’origine polonaise (“Europa Europa”) de se rapprocher de sa propre histoire en abordant la révolution tchèque.
Sacrifice évoque les événements historiques qui ont suivi l’immolation par le feu, le 16 janvier 1969, de Jan Palach, jeune étudiant en histoire (photo) qui voulait protester contre l’inertie de son pays face à l’invasion soviétique de 1968. L’événement peut sembler lointain mais on sait que l’Histoire a tendance à hoqueter, voire même à se répéter, et qu’il est donc dangereux de la méconnaître. Divers arguments plaident d’ailleurs en faveur de cette première réalisation produite par HBO Europe.
Si on connaît le printemps de Prague en tant qu’événement historique, on méconnaît les répercussions qu’il a eues dans le pays et la façon dont les autorités communistes de l’époque ont tenté de détourner voire d’instrumentaliser le geste de Jan Palach. « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux » scandaient les autres étudiants à sa suite, tandis que les autorités tentaient d’étouffer toute contestation en faisant passer Jan Palach pour fou…
L’histoire de cette nation placée sous le joug d’une grande puissance voisine a aujourd’hui encore de forts accents d’actualité… En s’y intéressant, HBO Europe donne la preuve de ses ambitions en matière de création.
Enfin, dernier argument de poids mais non des moindres, Agnieszka Holland possède un don certain pour la mise en scène et l’a déjà prouvé à maintes reprises dans son travail avec David Simon sur des séries comme The Wire ou Treme. Par d’infimes détails et des atmosphères visuelles soignées et pleines de poésie, elle rend grâce aux personnages et aux décors qu’elle a choisis.
Avec “Sacrifice”, la cinéaste compose une œuvre qui oscille entre drame intimiste, fresque sociale et suspense politique, tout en prenant la mesure de l’Histoire en marche. Un événement à ne pas rater, dont la conclusion est proposée vendredi à 20h50.
KT
Et le trailer? Il était déjà dipsonible ici.
J’ai déjà, assez récemment, vu cette mini-série (en VO), qui représente bien, à mon avis, ce que c’était, la CZ vers 1968. Cela ne m’étonne pas du tout que « les gens » baissent (officiellement) si vite les bras, quand on voit avec quelle persistance le « système » (URSS) à, subtilement (et moins subtilement), embouteillé, étouffé, puis supprimé, toute résistence perceptible dans les média (limités) de l’époque. Pour avoir été, à l’age de 19 ans, présent à Prague en Mai (« le printemps de Prague ») et en Décembre 1968 (ou, pour la première fois de ma vie, un soldat -Russe- a pointé son fusil sur moi), j’ai une mémoire assez émotive des évènements. J’ai vu le Colonel Zatopek, en uniforme, parler aux étudiants de la faculté de sports de l’Unif de Prague, l’enthousiasme, l’optimisme de Mai 1968 en Bohème. J’ai ressenti la dépression, les Mig volant très bas sur la paysage pour impressioner les gens, du pays quelques mois après l’intervention Sovietique d’Août. C’en était bel et bien fini de leur doux rêves d’un « socialisme au visage humain » (je n’utilise pas le mot « communisme », n’étant pas « encore » réalisé le communisme de la théorie Marxiste). Je suis d’avis que les Tcheques sont des gens assez particuliers, avec un humour grinçant, philosophie de sarcasme (que voulez-vous, après les années 1930 d’Hitler et puis l’URSS). Cela doit être très difficile de devoir remettre de 30 ans ses rêves de jeunesse, et je ne parle que des vivants, car les vieux, ils sont morts avec. En 2013, j’ai revisité la piste d’athlétisme à Brandys-Nad-Labem ou j’avais, en compagnie de mes amis de l’ASUB (ULB-VUB), fait des entrainements (avec des filles qui couraient bien plus vite le 400m que moi, garçon), et il y avait un « vieux » monsieur (comme moi) qui, ayant vu mon auto à plaque Belge, demandait ce que je venais faire dans ce coin perdu. C’était l’ancien responsable de la piste. Il se rappelait bien « la visite des Belges » (nous logeons dans la « Dom Kim Il Sung »), notre « Course de l’Amitié » avec Gaston Reiff et Emil Zatopek. Pendant cette conversation, il eut maint petit sourire énigmatique, que j’ai interpreté comme l’expression du temps qui coule entre les doigts comme le sable fin.