rectify.jpgBien sûr, il y a la force du sujet: un homme libéré après 19 années passées dans le couloir de la mort et une ville entière (Paulie en Georgie) qui doute de son innocence.
Il y a aussi sa famille qui – exceptée sa soeur Amantha (Abigail Spencer), pasionaria infatigable -, semble bien plus embarrassée qu’heureuse au moment des retrouvailles.

Bien plus fort que le thème de la justice (ou l’injustice), il y a surtout dans Rectify*** la singularité et la vérité d’une interprétation: cet homme hagard (Aden Young), perdu dans son costume tout neuf, sans repères et silencieux, livré aux médias fiévreux, ébloui par le soleil, les couleurs, la nature et le bruit…
Toute la force d’une mini-série (6 épisodes) créée et écrite par Ray McKinnon à découvrir ce jeudi à 21h sur Sundance Channel*, quelques jours après son lancement aux Etats-Unis.

On n’y a pas songé tout de suite mais il y a une grande proximité avec la thématique d’Hatufim, la série israélienne qui a inspiré Homeland ­- et s’est surtout penchée sur le traumatisme de deux otages libérés après 17 années passées dans des geôles libanaises.
On retrouve chez Daniel Holden, la même hébétude, la même incapacité à se réinsérer dans le quotidien, à reprendre le cours d’une vie volée. Et si, en prison, les tortures physiques n’étaient pas quotidiennes et planifiées, que dire de l’angoisse permanente, de l’isolement qui rend fou, des coups, des humiliations et des brimades ? De cette mort, trois fois programmée et trois fois annulée au dernier moment? N’est-ce pas la forme la plus perfectionnée de torture psychologique mise au point par un Etat de droit?

Après avoir affronté ce cataclysme intérieur, comment faire pour se reconstruire? Comment se comporter avec les autres, quelle voie choisir, que faire de cette liberté enfin à portée de main? Les mêmes questions assaillent les trois hommes fraîchement libérés, mais dans ce cas-ci, Daniel n’est franchement pas le bienvenu. Très rapidement, on comprend que le shérif et le sénateur du coin ne croient nullement à l’innocence d’Holden, pourtant disculpé du meurtre et du viol de sa petite amie par des analyses ADN récentes. A l’image de nombreux habitants du coin, les deux hommes feront donc tout pour le remettre en prison.

Contrairement à Uri et à Nimrod vus dans « Hatufim », il y a chez Daniel, cette part intacte d’enfance. En retrouvant sa maison et les siens, le presque quarantenaire semble renouer avec le spectre de ses 18 ans: ses rêves interrompus, son parcours brisé. L’acteur a cette incroyable candeur dans le regard; l’étrange décalage entre son comportement de grand ado et la profondeur de ses propos est forcément touchant. Car Holden porte en lui toute la sagesse et la réflexion d’un homme qui a eu le temps de soupeser le poids des secondes, durant les deux dernières décennies, passées principalement le nez plongé dans les livres.

« Rectify » est tapissée de moments de pure poésie sensorielle, presque magiques, et démontre, une fois encore, qu’une grande série sert à prendre la mesure de la vie intérieure d’un (ou plusieurs) homme(s) plutôt qu’à se perdre dans de multiples actions et digressions. Et puis, ce qui ne gâche rien: la photographie est magnifique, avec un sens pictural et un soin apporté aux détails qui rafraîchit le regard.

Bien sûr, le sujet est grave mais des dialogues d’une belle profondeur, des scènes en apesanteur, une ambiance et un personnage central magnétiques devraient rapidement vous conforter dans la pertinence de votre choix. Comme avec Top of the lake, création signée Jane Campion proposée en mars dernier, on retrouve là quelques-unes des caractéristiques du cinéma indépendant qui ont fait la réputation de Sundance Channel. A peine lancée aux Etats-Unis, Rectify a été renouvelée pour une saison 2.
KT

*nb: la chaîne Sundance Channel est disponible via Numericable à Bruxelles, via Telenet à Bruxelles et en Flandre, via Belgacom TV dans tout le pays

mise à jour (08/11): Le Festival « Tous écrans », en Suisse, a attribué, jeudi soir, son reflet d’or dans la catégorie Séries à l’excellente Rectify de Ray MacKinnon, thriller en apesanteur de la saison 2013.