Devenue blonde hitchcockienne pour la mini-série Esprit d’hiver***, l’actrice française explique à quel point le fait « de ne pas se reconnaître dans la glace, (l’)aide à camper un personnage ». Explication
« Je suis un peu obsédé par les performances d’actrices, reconnaît Cyril Mennegun, réalisateur d’Esprit d’Hiver sur Arte. Je voulais imaginer un rôle riche, porteur d’intériorité, de mystère, de zones d’ombre et de danger, avec un côté glamour hollywoodien. D’où le choix d’Audrey et la volonté de la voir jouer en blonde, façon Hitchcock. Je suis persuadé qu’il n’y a rien de plus joyeux pour une actrice que de changer de tête et de monde. »
C’était l’occasion pour la comédienne de rompre avec la gouaille et l’image déjantée projetée par Morgane, son personnage dans la série de TF1, HPI .
« Personne ne m’avait jamais demandé de changer de couleur de cheveux alors que beaucoup d’actrices l’ont déjà vécu. Je ne l’avais pas forcément proposé parce qu’à mon sens, ma couleur de cheveux est celle qui me va le mieux. Mais je suis en demande de changer de tête. J’ai un rapport au jeu enfantin, de l’ordre du déguisement. C’est ça qui me plaît. J’ai voulu faire ce métier pour continuer à jouer. J’étais très contente de ce changement de tête parce que cela aide considérablement à incarner un personnage quand on ne se reconnaît pas. Et que l’image dans le miroir vous renvoie à un large panel d’actrices, à une sorte d’éternel féminin. C’est un peu une fantasmagorie intemporelle. C’était super pour m’oublier derrière elle, même si je ne me définis pas uniquement par ma couleur de cheveux », insiste Audrey Fleurot.
Respecter le cœur du livre en s’éloignant
« Il y avait un désir d’aborder la série de genre et différents thèmes comme la figure de la femme artiste et le rapport mère-enfant« , précise la scénariste Florence Vignon qui a adapté le livre éponyme de l’Américaine Laura Kasischke, même si elle ne se voyait pas développer un récit en plus de trois volets.
« Il fallait respecter le cœur du livre tout en le replaçant dans un univers plus proche de nous. C’est un roman américain, dont les codes culturels étaient difficilement transposables en France« , explique Cyril Mennegun. On y retrouve toutefois l’atmosphère un peu étrange et éthérée qui a séduit plus de 120 000 lecteurs. « Le genre permet de mieux raconter la complexité de trajectoires fondamentalement humaines », note Cyril Mennegun.
Audrey Fleurot était ravie de découvrir que la série s’était détachée du roman. « J’ai lu le roman après et rien n’est jamais plus fort que votre imaginaire, c’est pour cela que les adaptations sont compliquées. Je trouve toujours bien qu’on s’autorise à changer les choses. »
À ses yeux, Nathalie est un personnage « sur la faille en permanence ; un type de féminité pas évident pour moi, mais je savais que Cyril m’aiderait à l’explorer. Il a projeté des idées sur moi car en tant qu’actrice, on dépend de ce désir du metteur en scène, ce qui est tout de même assez tordu. C’était une zone dans laquelle je n’avais pas eu l’occasion d’aller. Une expérience forte à côté de laquelle je ne voulais pas passer. »
Un désir de travail commun
Un rôle fébrile, sur le fil, soumis à une tension permanente… « Ce n’était pas éprouvant car je ne suis pas du tout quelqu’un qui travaille sur la douleur. Je n’ai pas de schizophrénie, je ne suis pas restée coincée dans mon personnage. On ne travaille pas forcément dans la continuité donc on peut aborder au sein de la même journée des émotions très différentes. Je travaille sur la déconcentration car si je suis trop concentrée, je ne vais pas me laisser surprendre alors que c’est plus intéressant de voir ce qui arrive. Il faut juste se mettre d’accord avec le réalisateur sur la direction à prendre. »
Derrière cette série se cache un désir commun de travailler ensemble, comme le souligne Cyril Mennegun. « Audrey est une très grande technicienne, il y a un côté très précis chez elle. Toutes les demandes sont immédiatement assimilées et les propositions pleuvent. Ça m’impressionne beaucoup. Corinne Masiero était comme cela aussi sur mon film Louise Wimmer. On a la sensation de quelqu’un qui se donne vraiment et qui sait poser la limite entre le travail et le moment où tu atteins la personne. C’est vraiment un poème pour un metteur en scène. C’est vrai qu’Audrey blague beaucoup. Mais il y a ce moment magique entre la caméra et l’actrice, ce langage entre les deux. Et arriver à capter l’art de quelqu’un, c’est merveilleux, c’est infiniment précieux. Surtout qu’un tournage de série, c’est très court. Audrey maîtrise très bien son outil. On peut alors se concentrer sur l’essentiel : l’interprétation et la mise en scène et ça, c’est précieux. »
Les multiples visages de la maternité
De son côté, la comédienne insiste sur l’image de la maternité « rarement montrée », inscrite au cœur de la série. « Cette mère passe par toutes les phases. La série explore cette idée de connexion qu’on croit innée et immédiate. Nathalie a adopté cet enfant, mais le contact ne s’est pas fait : elle sent qu’il y a quelque chose qui cloche. Elle a un côté ogresse, elle aime démesurément Alice. Sa fille est à l’âge où elle commence à se détacher pour exister en tant que femme. Ce sont toutes ces phases auxquelles on peut se retrouver confrontée en tant que mère. Vous n’êtes jamais au bon endroit et tout est toujours la faute des femmes. C’est un truc viscéral. Je te cherche, je te fuis… Le mouvement classique d’une ado qui doit se positionner entre son père et sa mère, mais Nathalie culpabilise car certaines choses lui ont échappé. »
S’il s’agissait d’un tournage « très physique », la vraie difficulté était ailleurs : un tournage en studio qui fait perdre « toute notion du temps. Dans cette histoire, il y a aussi une mise en abîme, un côté meta sur la création et le labyrinthe mental, en écho au fait que Nathalie est une auteure célèbre. »
Il y a aussi chez Nathalie, cette fuite vers la fiction, l’imaginaire « pour accepter la vie et arriver à la vivre quoi qu’il arrive. Cette fuite dans la fiction me parle parce que le monde est très anxiogène, mes rôles me permettent de fuir la réalité. La création est vue comme un cocon vis-à-vis d’une forme de réalité avec laquelle je ne suis pas forcément en harmonie. Cette décision de Nathalie fait écho en moi. La fin reste suffisamment ouverte pour l’imaginaire de chacun », souligne l’actrice avec un sourire énigmatique.
Entretien: Karin Tshidimba à La Rochelle
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