Ethan Hawke irradie dans cette première série coécrite avec Mark Richard et jouée avec fougue par le comédien dans une Amérique préparant la guerre entre pro et anti-esclavagistes. A voir sur Be Séries, samedi à 20h30

Ce tandem cinématographique s’inscrit dans la lignée du duo Marty – Doc de Back to the Future. Face à l’illuminé Brown, « Echalote » se montre étonné mais volontaire, toujours prêt à s’investir même dans les projets les plus fous. L’apparition de ce personnage fictif au coeur de ce morceau de l’histoire douloureuse et fratricide des Etats-Unis est la première entorse à la réalité concédée par la série The Good Lord Bird***. Elle suit en cela le roman éponyme de James McBride, dont elle s’inspire largement.

Oignon (Echalote en français) est le surnom que le capitaine sans peur, mais pas sans reproche, a donné au jeune esclave Henry qu’il a sauvé presque contre son gré. Presque, parce qu’un homme menaçait bien sa vie et celle de son père mais rien de tout cela ne serait arrivé sans l’intervention de Brown et les menaces proférées à l’encontre de l’individu.

Cette capacité unique à se fourrer dans le pétrin et à déclencher l’exaspération de ses contemporains est l’autre caractéristique qui fait de John Brown un personnage mi-héroïque, mi-tragicomique. Ethan Hawke s’empare avec fougue de ce rôle hors normes et donne vie à cet anti-esclavagiste illuminé, sorte de Don Quichotte fervent catholique qui a fait de la libération des esclaves sa mission (quasi) « divine ». Ses interminables prières et ses citations de passages entiers de la Bible, y compris en plein échange de tirs, sont un motif récurrent de comédie, tout comme son aveuglement à l’égard de la véritable identité d’Echalote qui n’est qu’un prolongement de ses fourvoiements dans sa façon de mener son combat sanglant. Elle illustre aussi avec ironie la nécessité pour de nombreux Noirs de se conformer à la « vision » des Blancs pour avoir une chance de survie.

Les premières étincelles avant la Guerre de Sécession

Du roman de l’Afro-Américain James McBride, découvert au hasard d’un autre tournage, l’acteur Ethan Hawke a fait son livre de chevet au point de vouloir le transformer en projet de film. Projet adapté en série pour Showtime sur les conseils de sa femme, la productrice Ryan Hawke, qui trouvait que le matériel épique du récit « à la Huckleberry Finn » risquait d’être « sacrifié » s’il se limitait à deux heures sur l’écran.

La série se concentre sur les deux dernières années de la vie exaltée de cette figure américaine de la lutte pour l’abolition de l’esclavage. Soit juste avant son exécution par pendaison en 1859, après une tentative d’insurrection avortée en Virginie. Evénement qui fut l’un des déclencheurs de la Guerre de Sécession. Henry Shackleford (Joshua Caleb Johnson), alias Échalote, jeune esclave âgé de douze ans que Brown prend sous son aile, est le narrateur de cette histoire (en partie) vraie.
L’intérêt de sa présence est double : Echalote prend en charge l’incrédulité du spectateur face aux prises de décision tordues et expéditions folles menées par Brown. Il permet aussi de découvrir le monde des esclaves, non pas sous le seul angle de la violence, des humiliations et du travail forcé, mais sous celui de la rébellion, des réseaux de solidarité et des organisations secrètes où ont émergé des figures noires comme Frederick Douglass (Daveed Diggs) et Harriet Tubman*. Son périple aux côtés de Brown est aussi l’occasion d’un cheminement vers sa propre identité.

Malgré ses côtés satiriques dignes de l’univers des frères Coen, le thème abordé par la série, qui oscille entre western, tragi-comédie et film de guerre, est on ne peut plus sérieux et actuel. « l faut de six à neuf minutes pour qu’un homme meure étranglé, je ferai plus pour la cause en ces précieuses minutes que je n’en ai fait toute ma vie.” Cette citation, tirée d’une des lettres de John Brown, prend une tout autre résonance à la lumière de la mort de George Floyd, intervenue alors que la série était en cours de montage. Ces menaces, toujours latentes et en lien avec le mouvement #BlackLivesMatter, sont également au coeur de séries comme Lovecraft Country ou Watchmen.

Karin Tshidimba

* Héroïne du fameux Underground railroad mise en lumière, fin 2019,  par Cynthia Erivo dans le film de Kasi Lemmons.