Après La Trêve et Ennemi Public, l’arrivée d’Unité 42 a changé la donne. La fiction belge est entrée dans l’univers des séries bouclées (une enquête par épisode), le tout imaginé par un trio de femmes. Rencontre avec Charlotte Joulia, directrice d’écriture (en charge des scénarios) de l’une des séries belges visibles sur Netflix. En bonus (vidéo), nous avons parlé des premières séries qui l’ont influencée

« J’ai toujours voulu faire cela. Ado, j’avais négocié avec mes parents d’avoir une télévision dans ma chambre parce qu’il fallait que je regarde des films pour apprendre mon métier. » Se définissant comme « grande fan de Friends », c’est par le biais de la série X-Files que Charlotte Joulia a découvert l’univers du procedural (des séries aux enquêtes bouclées) auquel elle est restée très attachée.

À 8 ans, elle écrit son premier polar

« Ce n’est pas un hasard que je sois auteure d’une série comme Unité 42. Depuis que je suis toute petite, je sais que je veux écrire et réaliser. Je me suis nourrie de polars durant toute mon enfance. Mon premier texte, à 8 ans, c’était déjà une enquête policière. En répondant à l’appel d’Annie Carels, après la réalisation de mes trois courts métrages, je me suis dit : mais c’était cela que je voulais faire ! Comment se fait-il que je n’avais pas continué dans cette voie ? Le polar, j’adore et le bouclé, j’aime beaucoup. Ça remonte à ma période X-Files… Je ne pense pas que ce soit le parent pauvre des séries, dont le feuilletonnant serait le parent riche. Le bouclé permet d’avoir sa dose d’intrigues et de ne pas partir pour des jours et des jours de vision d’épisodes. J’aime le challenge intellectuel que propose le polar, cela brosse beaucoup de portraits de personnages, beaucoup d’interactions. Ça me plaît à l’écriture et en tant que spectatrice. On peut tout raconter sur tous les tons à travers le polar : depuis la comédie policière jusqu’à des genres plus sombres. »

Charlotte Joulia, scénariste principale de la série belge « Unité 42 »

Avant de se lancer dans les séries, Charlotte Joulia a aussi été scripte durant plus d’une dizaine d’années. « Ces deux expériences (scripte et réalisatrice, NdlR), le fait d’être sur les plateaux, cela m’a beaucoup apporté pour ma mission de directrice d’écriture. Quand on écrit une série, il faut que cela rentre dans un cahier des charges précis. L’aspect économique est très important en télévision, particulièrement dans les séries belges. Le fait de savoir combien cela allait coûter, mais surtout comment cela allait être fait – est-ce difficile ? -, cela m’a aidée à guider les auteurs et à me censurer dans certains cas. Ou, à savoir comment faire autrement pour que cela ait l’air riche à l’image sans que cela explose le budget. »

Maintenir la motivation des auteurs sur une longue période (une année) tout en ayant un œil sur les délais à respecter reste « le plus gros défi en tant que directrice d’écriture. Il faut que le tournage, la post-production et la diffusion ne prennent pas de retard. C’est presque un rôle de coach, en fait. »

Réservoir d’énergie et d’histoires

Le coaching est important mais aussi le fait de se renouveler surtout face à une troisième saison.
« L’écriture de la saison 3 a commencé en septembre. Il faut continuer à raconter de chouettes histoires, faire en sorte que la série soit originale. C’est facile de se renouveler parce qu’on a de bons conseillers qui baignent dans les nouvelles technologies : des membres de la Cyber Crime Unit et des geeks, notamment un journaliste spécialisé, qui sont plus branchés sur les questions de hacking et de cybercriminalité. S’ils n’étaient pas là, on galérerait nettement plus. Dans la presse, il y a presque tous les jours des affaires de ce type. On peut facilement trouver à se documenter. Et puis, on s’appuie sur des histoires humaines, on commence toujours par là : c’est inépuisable en termes de mobiles, d’univers, etc. »

Quant à la tonalité de la saison 2, « j’espère qu’on va y retrouver le ton de la saison 1 mais j’ai l’impression que tout est plus dense : les enquêtes et ce qui arrive à chaque personnage. C’est noir avec une touche d’humour. On est dans le même sillon mais on a essayé de viser plus haut et plus fort. Nous avons fait un débriefing post-saison avec tous les auteurs, avec la production, avec les comédiens; nous avons parlé de ce qui fonctionnait bien (thriller ou action) ou moins bien. On a observé comment certains personnages interagissaient. Cela permet de ne pas reproduire les mêmes erreurs. »

A un jeune qui voudrait s’investir dans le métier des séries, Charlotte Joulia conseille d’aller sur les plateaux « pour savoir comment sont fabriquées les séries parce que c’est vraiment un processus collectif. Le scénariste est au début du processus mais c’est encore très long après et il y a énormément d’intervenants. Le fait d’être allée sur les plateaux, cela m’a permis de mesurer le temps de réalisation des scènes, etc. Comme dans le cas d’une course poursuite: deux lignes de script peuvent demander trois jours de tournage. Tout cela, il vaut mieux le savoir: le prix des décors, etc… Être scripte m’a permis de mesurer tout cela, il ne faut pas juste passer sur le tournage; être impliqué dans le processus permet d’avoir une vision d’ensemble. On découvre les trucs et ficelles du métier. Le montage aussi auquel j’ai assisté permet de voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas en termes de dialogues, d’action, etc. On voit tout de suite parmi les jeunes scénaristes, ceux qui sont allés sur les plateaux en tant que régisseur, assistant metteur en scène ou comédien et ceux qui ne savent pas du tout de quoi on parle. Évidemment, au fur et à mesure du métier, on apprend tout cela mais cela permet de gagner du temps. »

Entretien: Karin Tshidimba