Souriant, affable et élégant, l’acteur Justin Prentice n’a rien à voir avec le personnage de beauf, violent, misogyne et arriéré qu’il incarne dans 13 Reasons why.
Invité du Festival de télévision de Monte-Carlo, l’acteur évoque les répercussions occasionnées par le succès de la série sur Netflix et par son rôle très inconfortable de « salaud ».

Originaire de Nashville dans le Tennesse, le comédien aurait pu rêver à une carrière de musicien country mais malgré son goût pour le violon, le piano et la guitare, c’est l’amour du jeu qui l’a saisi dès sa toute première pièce de théâtre. Un choix auquel sa famille, « composée d’hommes d’affaires et de pharmaciens », ne s’attendait pas. Mais ses parents ont beaucoup soutenu son choix « même si le terrain n’était pas spécialement préparé pour la comédie. »

Comment vous êtes-vous préparé et comment sortir du rôle difficile de Bryce Walker ?

Nous avons fait pas mal de recherches et discuté avec des psychiatres et des thérapeutes. Aux Etats-Unis, il y a malheureusement beaucoup de cas similaires. Nous avons donc regardé des documentaires, des films et suivi quelques affaires portées en justice. On est parti de cela pour notre travail. Parfois, après les scènes les plus sombres et les plus dures, on discute tous ensemble parce que ce n’est pas simple d’en sortir. Pour décompresser et se soutenir et ne pas rester bloqué dans cette réalité.

Nos référents sur le plateau étaient le Dr Rebecca Hedrick et Alex Jones qui fait le tour des USA en parlant dans les collèges et lycées de ce que signifie le consentement et la nécessitée de lutter contre la culture du viol. C’est à ces deux personnes que nous posions nos questions.

 

Cette ambiance de concurrence et de violence au lycée réveille-t-elle des souvenirs personnels ?

13 reasons bryce.jpgJe n’ai pas connu cette ambiance parce que j’ai suivi l’école à domicile. J’ai commencé à jouer très jeune et cela me permettait d’aller passer des auditions, etc. Donc cela ne ressemble pas trop à mon expérience. Au collège (les trois premières années des humanités, NdlR), j’étais dans une école académique, on était entre geeks et nerds, donc c’était plutôt cool. Mais dans le sud (il est originaire de Nashville, NdLR), le sport a beaucoup d’importance et là, en revanche, il y avait pas mal de ressemblances avec ce qui se passe dans la série. Un de mes amis s’est suicidé et j’ai d’autres amis qui ont subi des agressions sexuelles. Je pense que ces problèmes sont malheureusement proches de n’importe quel acteur de la série et de n’importe quelle personne dans la vraie vie.

 

Comment expliquez-vous le succès et les remous suscités par la série ?

Ce n’est pas la première fois que l’on parle de ces problèmes mais notre série n’a pas peur de les aborder frontalement et c’est ce qui en fait une série particulière. Je pense que c’est bénéfique de pointer ces problèmes du doigt, de tendre un miroir à la société pour qu’on puisse en venir à bout. Avoir dû me confronter à des sujets aussi sérieux, importants et durs a forcément changé ma perception du monde, mais pour un mieux, je pense.

Lorsque j’ai lu le script, je l’ai trouvé formidable mais on ne se doutait pas que ça allait résonner de cette façon-là dans le public. On ne savait pas combien de personnes allaient regarder la série, on n’en avait aucune idée. Le fait que ce soit diffusé sur une plateforme change aussi la façon dont on suit cette histoire car chacun peut choisir son rythme mais le plus souvent, c’est très rapide, comme un départ de feu. Si je devais regarder cette série, j’adopterai sans doute un rythme plus lent.

 

13 reasons violence.jpgEt vous, qu’en avez-vous pensé ?

Je ne l’ai pas regardée, je n’ai vu que les deux premiers épisodes de la saison 1 lors de la présentation publique. Je n’aime pas me regarder sans doute parce que je suis ce genre d’acteur en manque de confiance en soi. Cela susciterait trop de questions chez moi: pourquoi telle prise, telle scène ?

Le regard du public sur votre personnage est-il facile à supporter ?

Je ne savais pas l’ampleur que la série allait avoir. Et aujourd’hui, j’assume ce rôle de scélérat puisqu’il faut bien que quelqu’un l’endosse. Heureusement, je pourrai faire en sorte que mon prochain rôle soit quelqu’un de bien, de charmant et de doux.

Je n’ai participé qu’à un autre projet dans l’intervalle: la série Preacher pour AMC et c’était à nouveau un rôle de violeur… C’est pour cela que je choisirai un personnage totalement à l’opposé pour la suite afin de ne pas me retrouver encore enfermé dans ce type de rôle.

Toutes les rencontres que je fais avec des fans en face à face sont positives. Mais sur internet, c’est une autre affaire car l’anonymat fait que les gens se défoulent. J’essaie de ne rien lire. Je lis parfois quelques commentaires sur Instagram et je réponds aux fans, mais pour le reste, j’essaie de me tenir éloigné de tout cela afin de préserver ma santé mentale.

 

Vous pensez que malgré les critiques, la série a eu un impact positif ?

On a reçu beaucoup de retours positifs de la part du public. L’une des choses les plus importantes que nous avons entendue est que beaucoup de parents regardent la série avec leurs enfants ce qui leur permet d’en parler plus facilement en se comparant avec ce que vivent nos personnages. On voit aussi plus de personnes parler de ces problèmes à Hollywood et ce n’est pas uniquement à cause de notre série. Mais les comportements changent et c’est une très bonne chose.

 

13 reasons Bryce W.jpgUn article a présenté votre personnage de Bryce Walker comme le Harvey Weinstein des lycées, qu’en avez-vous pensé ?

On en a beaucoup parlé entre nous durant le tournage. Je pense qu’il y a de nombreuses similarités entre mon personnage et Harvey Weinstein et c’est vraiment gratifiant de voir qu’aujourd’hui ce type de personnes sont détrônées alors qu’elles étaient si puissantes et intouchables pendant si longtemps à Hollywood. Il était temps de mettre fin à ces empires, ces dynasties qui ont régné pendant trop longtemps.


Parallèlement à la saison 3 en préparation, Justin Prentice travaille, pour le cinéma, sur un projet de thriller psychologique qui sera tourné en mars prochain. Il a déjà l’auteur d’un court métrage. A l’avenir, il espère pouvoir combiner les deux activités (acteur et producteur) et développer les histoires depuis le début afin de bâtir les personnages « comme vous pensez qu’ils doivent l’être ».

Karin Tshidimba, à Monte-Carlo