Ecrire une série à propos d’un policier endeuillé et fragilisé, il fallait oser mais la scénariste Abi Morgan n’a pas peur de grand chose et a déjà eu l’occasion de le prouver.
Sa nouvelle création River*** produite par la BBC en octobre dernier et distribuée par Netflix, démontre une nouvelle fois sa parfaite appréhension des émotions humaines. Comme on a pu le constater la semaine dernière au Festival de Biarritz (Fipa).
S’extirpant des limites du genre policier – l’enquête, les relations compliquées avec la hiérarchie, les tensions avec la presse, avec les avocats et les suspects -, Abi Morgan réussit à composer un tissu humain riche et attachant, une réflexion « full sentimental » mêlant humour noir, mélancolie et échos de l’ultra moderne solitude, en six épisodes seulement.
John River n’est pas un flic au mental particulier de plus. Intuitif et brillant, il est profondément perturbé et ne vit pas cette particularité sans souffrance ni remise en question. La disparition brutale de sa coéquipière Stevie n’a fait qu’accroître son désarroi, aggravant sa béance intérieure et sa solitude. Car on ne parle pas ici de tocs folkloriques, de QI révolutionnaire ou d’équations mathématiques farfelues, non il s’agit vraiment d’un état psychologique tangent. Du genre de ceux que n’hésitent pas à mettre en lumière les adeptes du Scandinoir. Un style auquel l’acteur suédois Stellan Skarsgard renvoit forcément.
N’envisageant nullement cette question à la légère, Abi Morgan parvient parfaitement à faire miroiter l’incongruité, la richesse et la singularité de cet état de fragilité, nous rendant ses manifestations d’autant plus sympathiques ou touchantes.
A travers River, nous découvrons sa partenaire Stevie qui devient bientôt un rouage indispensable de l’histoire et de la longue enquête autour de sa mort. A mesure que l’enquête progresse, chaque élément porté à notre connaissance apporte une touche supplémentaire au tableau de cet incroyable duo.
River est autant une réflexion sur l’amour et l’amitié, sur les sentiments de chagrin et de perte qu’une enquête en bonne et due forme. Et c’est ce qui lui donne sa force et sa pertinence.
Stellan Skarsgard (John River) interprète brillamment cette partition fragile qui le voit osciller du (grand) sourire aux larmes. Ses scènes avec Nicola Walker (Jackie «Stevie» Stevenson) sont l’étoffe chatoyante dans laquelle se drape ce qui pourrait, à tort, être décrit comme un drame humain ordinaire. Car, comme toujours, l’apparente folie se nourrit aussi de l’observation et du bon sens. «Trouve un chemin au sein de ta folie, trouve de l’ordre dans ton chaos, sinon comment me trouveras-tu?»
Des dialogues intenses, des personnages et des situations ciselées – la rencontre inoubliable avec River et Stevenson et celle, mémorable, entre River et la femme d’Ira King, son nouveau partenaire. Il y a beaucoup de très belles scènes dans River. C’est cette finesse d’écriture qui fait que l’on n’oubliera pas la série écrite par Abi Morgan (The Hour). Une scénariste qui n’a peur de rien: ni des fêlures, ni des silences, ni des situations incongrues et qui offre un formidable plaisir au spectateur.
Remise en lumière par le prix d’interprétation masculine accordé à Stellan Skarsgard lors du Festival de Biarritz (Fipa) samedi dernier, la série bénéficie d’une seconde vie au sein du catalogue de Netflix.
KT
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