Sa nouvelle série, portée par la formidable Rhea Seehorn (Better Call Saul), questionne à la fois la tyrannie du bonheur imposé et les dangers du conformisme et de la pensée unique. Une satire intrigante à voir sur Apple TV
Irritable, excessive, cynique, sarcastique, aigrie et explosive: de nombreux adjectifs seraient parfaitement adéquats pour décrire le caractère de Carol (Rhea Seehorn), autrice de best-sellers aussi ambitieuse qu’insatisfaite, confrontée à la disparition brutale de sa compagne.
Carol est en colère. Une colère profonde et viscérale qui la tient debout et la pousse en avant, depuis la disparition d’Helen (Miriam Shor). Une mort survenue dans des circonstances exceptionnelles alors que l’humanité tout entière était infectée par un virus inconnu et s’effondrait sous ses yeux, avant que de nombreux individus reviennent à eux, mais se comportent ensuite comme une entité unique et solidaire, souriante jusqu’à l’écœurement.
Au lieu de s’en réjouir, Carol trouve cette sollicitude généralisée aussi exagérée qu’agaçante et suspecte. Et est bien décidée à trouver comment inverser la situation afin que le monde revienne «à la normale». A charge pour elle de découvrir si d’autres individus dans le monde partage son état d’esprit…

Le bonheur à tout prix
La colère est mauvaise conseillère, dit-on, mais dans Plur1bus, elle est loin d’être épidermique et nourrit le quotidien de Carol dont elle constitue le centre névralgique, la raison d’être. Ce choix audacieux est le fait d’un homme, Vince Gilligan, qui s’est fait une spécialité des individus suspects, borderlines ou volontiers détestables, qu’il s’agisse de Walter White dans Breaking Bad, ou de Jimmy McGill dans Better Call Saul.
Sa mise en lumière de Carol, qui aurait jadis été traitée de simple « mégère », ne manque pas de cran. Elle permet de voir comment la révolte et le refus de l’ordre peuvent parfois mener jusqu’à la vérité. Car tout autant qu’elle dérange et bouscule, cette «saine colère» d’une femme en deuil, qui refuse de se laisser abattre ou de se résigner, interroge nos comportements et notre propre perception du monde.
Jusqu’où serions-nous prêts à aller pour affirmer notre liberté et notre droit à l’individualité ? La solitude est-elle inéluctable en cas de rébellion ? La série pose énormément de questions tandis que nos sentiments fluctuent en observant la radicalité de Carol…
Pour son retour après Breaking Bad et Better Call Saul, Vince Gilligan opte pour la dystopie. Et frappe fort en dénonçant à la fois le mythe de l’intelligence supérieure censée nous mettre tous d’accord (l’IA?) et en interrogeant notre droit à la révolte et ses conséquences.
De manière subtile et provocatrice, Vince Gilligan pose la question des limites et conséquences d’un optimisme forcé dans cette nouvelle société qui allie surveillance du bien-être et contrôle social. Qu’adviendrait-il de la terre si elle était désormais peuplée d’habitants sans personnalité pariant aveuglément sur la concorde et le collectif à tout prix ? Même si cela signifie la fin des conflits et de la criminalité, est-ce réellement souhaitable ?
Une femme à la fois insupportable et fascinante, un personnage en quête de vérité sur les transformations en cours, une histoire sans cesse surprenante et à la mise en scène très travaillée.
Déstabilisante et foncièrement originale, Plur1bus interroge l’injonction parfois oppressante au bonheur, répandue dans nos sociétés. A plus de mi-chemin (5 épisodes sur 9) sur Apple TV, elle ne cesse de faire parler d’elle…
Le terme latin « Pluribus » est tiré de l’ancienne devise des Etats-Unis: « E pluribus unum », que l’on peut traduire littéralement: « à partir de plusieurs, un seul ». L’équivalent de « L’union fait la force » cher à la Belgique…
Karin Tshidimba
Plur1bus*** Dystopie grinçante Création Vince Gilligan Réalisation Adam & Melissa Bernstein Avec Rhea Seehorn, Miriam Shor, Karolina Wydra,… Sur Apple TV 9 x 52 (au rythme d’un épisode par semaine)
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