La ministre Audrey Azoulay l’avait annoncé lors de son déplacement au Festival de La Rochelle, l’espoir est devenu réalité mercredi dernier: le budget de la Culture 2017 sera augmenté, avec quelques millions en plus à la clé pour France Télévisions et Arte. De quoi leur permettre de développer davantage de projets et de s’imposer sur la scène internationale ? C’est l’idée, en tout cas.
Malgré quelques bons résultats à l’exportation, la production française accuse en effet toujours un sérieux retard sur ses proches voisins, britanniques ou allemands.
Pour organiser la « riposte », Yves Bigot, patron de TV5 Monde songe à la mise sur pied d’une plateforme francophone, jalon indispensable et prérequis à la visibilité (française) à l’international. Entretien.
Pour la fiction français, la tendance est jugée « à la fois bonne et fragile en termes économique et de créativité » par Yves Bigot qui a été responsable de la sélection 2016 à La Rochelle, mais est surtout l’actuel patron de TV5 Monde. En tant qu’ancien directeur des antennes à la RTBF et à France 2, l’homme connaît bien les forces et faiblesses des Belges, Suisses, Français et autres francophones…
« Même si la ministre a annoncé plus d’argent pour France Télévisions (30 millions) et pour Arte (10 millions) et va débloquer du parrainage qui mettra 15 ou 20 millions en plus sur la table, on se retrouve face aux Anglais et aux Américains qui jouent dans une autre catégorie. Malgré ses nombreux succès, Tim Davie, de la BBC, le dit : ‘Nous aussi, on est des petits face aux Indiens, aux Américains, Nigérians, Brésiliens, Turcs, Scandinaves, Israéliens… Pour se battre dans ce contexte, il y a l’argent mais aussi la manière dont on tente de l’économiser.’ »
Les créativités belge et québécoise mises en avant
Sur ce plan, Yves Bigot salue la créativité des séries belges. Cela signifie-t-il que tout le monde doit verser dans la production à « bas coût » ?
« Non. Comme le dit Tim Davie de BBC Worldwide: il n’y a pas que l’argent mais cela fait beaucoup, surtout si on veut être compétitif à l’international. Il faut trouver un moyen terme entre ce qui est intenable financièrement et le fait qu’en France, on devrait s’inspirer de ce que font les Belges et les Québécois (avec un peu plus d’argent que les Belges). Dans les deux cas, ils font des fictions qui sont achetées à l’international. C’est la preuve que ce n’est pas uniquement le budget qui fait le succès. Il faut trouver des solutions médianes. »
Reste, à ses yeux, l’épineuse question économique et du marketing…
« La France est le pays qui a inventé le droit d’auteur, qui est en danger aujourd’hui. Chacun tente de défendre ses intérêts et, en même temps, on est un pays où on n’enseigne pas l’économie. Alors qu’en Grande-Bretagne, ils foncent. Ils sont en confrontation frontale avec les Etats-Unis et tous ceux qui parlent anglais. Du coup, cela les dynamise. Et puis, c’est un peuple de marchands. Pour autant que le contenu est mis en avant, le fait de vendre prime sur celui d’attendre des subventions. Les Britanniques savent qu’on ne survit pas sans vendre. »
« C’est comme si le marketing restait un gros mot »
« En France, on vit encore sur l’idée que la force de la création va suffire à rémunérer l’auteur. Alors qu’en Grande-Bretagne, ils mettent un tiers d’argent sur le marketing. En France, c’est comme si le marketing restait un gros mot. Or aujourd’hui on ne peut plus nier la réalité qui est qu’on est en compétition avec tous les autres. Au final, ce qui compte c’est de séduire le téléspectateur. Il est tellement sur-sollicité que si on ne se donne pas les moyens de lui faire savoir que ce qu’on a préparé est génial, le public ne le saura pas. On n’est plus dans un monde où il suffit de faire quelque chose de bien et cela finit par se savoir. Il y a tellement d’offres qu’on doit vraiment se reposer la question du marketing. Le financement ne doit pas se limiter à fabriquer le meilleur programme, mais aussi à le faire savoir. »
C’est la raison pour laquelle Yves Bigot verrait bien la création d’une plateforme francophone. « Ce n’est pas nous qui allons faire en sorte que Netflix, Amazon ou les autres soient moins puissants mais je pense qu’une plateforme francophone même si elle n’est pas exclusive, serait le premier pas. Le B-A BA pour affirmer qu’on est là, qu’on fabrique des films et qu’on a une identité commune. Nous qui partageons la même langue (Français, Suisses, Belges, Québécois, Haïtiens, Libanais, Vietnamiens,…) on peut participer à la créer mais il faut que tout le monde veuille y aller. »
« C’est d’autant plus important qu’on nous annonce 400 millions de francophones en 2025 (700 millions en 2050) alors que la langue a été longtemps un handicap face à l’anglais du business. Positionnons-nous dès maintenant. Nous avons un regard différent, qui permet d’affirmer notre spécificité et nos valeurs. Cela ne m’apparaîtrait pas bête de le faire. Sachant qu’à TV5 Monde, nous le faisons déjà à notre niveau, et par notre nature aussi. »
Ni costumes, ni comédies
Si on peut se réjouir d’apprendre que la série Dix pour Cent – très française et au point de vue humoristique affirmé (photo) – représentera l’Hexagone aux International Emmy Awards, d’aucuns s’étonnent d’apprendre qu’une adaptation des «Misérables» sera produite par la BBC…
« Quand on discute avec les producteurs français, on voit qu’ils s’inquiètent de l’absence de diversité de la production : beaucoup de polar, beaucoup de sociétal, une seule fiction en costumes et une ou deux comédies au maximum. Or la restriction de la diversité n’aide pas la créativité. Tout le monde dit vouloir de la comédie mais c’est difficile de trouver des producteurs et des diffuseurs qui s’y lancent. Puisqu’il y a une nécessité de l’international, il faut se poser la question: qu’est ce que le monde attend de la France ? Sa culture, son patrimoine, son histoire, certains de ses paysages… Or on propose très peu de sujets de ce genre. Si on veut avoir une ambition à l’international, il faut travailler là-dessus. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire du polar du niveau d’Engrenages qui a eu 2 Emmy Awards. Mais je suis surpris de voir que ce qu’on propose ne correspond pas forcément à ce que le monde entier nous demande » note Yves Bigot au regard des fictions présentées à La Rochelle.
Entretien: Karin Tshidimba, à la Rochelle
Côté illustrations, les trois premières séries sont québécoises:
« Mon ex à moi » (1), « Boomerang » (2) et « Pour Sarah » (3).
Les n°2 et 3 ont été préachetées par TV5 Monde.
Commentaires récents