Entre séries et romans, les liens étroits sont plus qu’une question de thématiques.
Les deux univers partagent la même rythmique (narration en épisodes ou en chapitres) et les mêmes rites romanesques : éclatement de l’intrigue sur plusieurs personnages, intrigues secondaires, événements déclencheurs, scènes d’émotions intenses (tristesse, joie ou peur) et éléments de suspense (cliffhangers) disséminés au fil du récit.
Cette proximité artistique pousse de plus en plus d’auteurs à se piquer au jeu de la série, soit en singeant et en renforçant ses codes au sein de leurs écrits, soit en imaginant des romans à suite, voire même en devenant eux aussi scénaristes de séries. Ce mouvement connaît une accélération notable depuis quelques saisons comme le prouvent les annonces triomphales des grands studios.
Après Stephen King (Under the dome), Nic Pizzolatto (True Detective) et George R.R. Martin (Game of Thrones), Harlan Coben (photo) vient de franchir le pas avec The Five et on attend Marc Dugain avec L’Emprise en 2017 sur Arte, Jonathan Franzen avec Purity ou Sabri Louatah qui adaptera sa quadrilogie romanesque Les Sauvages pour Canal+.
L’Américain Harlan Coben nourrit une passion longue durée pour les thrillers en tous genres.
Récipiendaire de trois des prix majeurs de littérature décernés aux Etats-Unis, il a récemment sauté le pas, délaissant ses romans policiers pour la création d’une série au parfum de mystère, The Five**, visible depuis fin avril sur Canal+.
La métamorphose du récit en série
Les précédents succès de ces romans sur le grand (Ne le dis à personne) et le petit écran (Une chance de trop) l’ont sans doute rassuré sur sa capacité à toucher des spectateurs au-delà du cercle étendu de ses lecteurs. Le voici donc devenu créateur de série.
Fort de ses 60 millions d’exemplaires vendus, traduits dans 41 langues, Harlan Coben s’est sûrement dit qu’on n’était jamais mieux servi que par soi-même. Attiré par la mécanique et le caractère ludique de la série – qui lui permet de tester son art du twist et des détours scénaristiques -, le romancier américain a plongé tête la première dans cette petite communauté britannique traumatisée par le possible retour d’un enfant disparu 20 ans plus tôt.
S’inspirant de l’atmosphère des séries criminelles britanniques récentes (Luther, Broadchurch, Happy Valley) Harlan Coben s’attache aux traumatismes de ses personnages même si le récit semble par moments curieusement distant ou désincarné. La faute à une réalisation sans doute trop démonstrative et léchée pour être tout à fait juste ou honnête. Produite par la chaîne britannique Sky, la série en 10 épisodes tient toutefois parfaitement la route, oubliant parfois que c’est dans les dérapages et ornières que les meilleures histoires se révèlent.
Stephen King est sans aucun doute le champion toutes catégories des adaptations sur grand et sur petit écran. Un exercice auquel l’auteur s’est lui-même plié au point d’écrire une version librement inspirée de sa trilogie Under the dome pour la chaîne CBS. Son dernier roman porté sur le petit écran est celui retraçant le destin de Lee Harvey Oswald. Depuis le 15 février dernier, 11/22/63 (photo), produite par Hulu, plateforme de vidéo à la demande, est partie à la conquête d’un nouveau public.
Conçue initialement pour donner naissance à un film, L’emprise, la trilogie politique de Marc Dugain a d’abord rencontré le public sous forme romanesque. Pour son auteur, il s’agissait de passer outre le désintérêt d’un producteur devenu frileux afin que son récit ne s’endorme pas au fond d’un tiroir.
Aujourd’hui L’Emprise devrait voir le jour sur le petit écran, Arte est résolue à en faire une série attendue en 2017. Outre cette adaptation de ses propres écrits, Marc Dugain travaille aussi sur deux autres scénarios de séries. Déjà romancier et réalisateur, le voilà en passe de devenir scénariste. Comme l’Américain Harlan Coben avec sa série The Five présentée à Séries Mania et en cours de diffusion sur Canal+.
La notoriété n’est cependant pas toujours synonyme de succès, la preuve avec Jonathan Franzen, auteur américain mondialement célébré, dont l’adaptation des Corrections n’a pas été retenue par la chaîne HBO. Cela ne l’empêche de travailler à l’adaptation de son dernier roman Purity (à paraître aux Editions de l’Olivier). Le rôle principal devrait y être tenu par Daniel Craig.
Aussi vieux que la petite lucarne elle-même, ce lien entre écrivains et séries est tellement étroit que Le Magazine littéraire du mois de mai lui consacre son dossier principal, révélant au passage les séries préférées de 12 auteurs en vue. Il rappelle aussi à tous les distraits à quel point le goût des histoires est le même que l’on soit bouquinophage, cinévore ou sériephile.
Si d’autres auteurs ne se disent pas (encore?) prêts à franchir le pas, ils confessent avec enthousiasme leur attirance télévisuelle dans le numéro du mois de mai du Magazine littéraire*.
House of Cards (Daniel Mendelsohn), Game of thrones (Carole Martinez), Twin Peaks (Pierre Alferi), Racines (Alain Mabanckou), Six feet under (Virginie Despentes), Homeland (Tahar Ben Jelloun), Fargo (Bernard Werber), Les Soprano (Philippe Claudel) ou Top of the Lake (Véronique Ovaldé) : chacun défend chèrement son «poulain», dévoilant au passage le lien intime qui s’est tissé au fil des épisodes et des saisons, et rappelant que ces séries ont enrichi leur imaginaire au point, parfois, de susciter leur vocation…
KT
* «Ecrivains, leurs séries cultes», un dossier spécial du Magazine Littéraire du mois de mai coordonné par Alexis Brocas et Pierre Assouline.
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