On le sait, une bonne série, ce sont avant tout une bonne histoire et de bons personnages. Dans le cas de l’équipe d’Ennemi Public, cette bonne idée a germé lors d’un week-end de travail en Ardenne, où Matthieu Frances, Antoine Bours et Christopher Yates s’étaient retiré afin de trouver un concept pour répondre à l’appel à séries lancé par la RTBF et la Fédération Wallonie-Bruxelles. « On s’est baladé deux heures dans la campagne et tous les personnages étaient là : Béranger, Chloé, Lucas,…. »
De l’idée à la réalisation finale, il y a toutefois un grand nombre d’étapes à franchir, sans même parler du casting. Dans le cas d’Ennemi Public, on en compte six.
En formation
Rejoints par Gilles de Voghel, les 4 mousquetaires suivent, en 2014, une dizaine de rencontres avec le scénariste Frédéric Krivine (Un village français) organisées par la Fédération Wallonie Bruxelles. « Cela nous a permis de voir qu’il nous fallait une vraie méthode de travail. »
Sortis de l’IAD section cinéma, ils sont conscients de leurs «lacunes» dans le domaine des séries même si l’univers les attire très fort. Coachée par Cédric Salmon, scénariste français spécialisé dans la méthodologie de séries, et épaulée par le scénariste flamand Michel Sabbe (Vermist), l’équipe, formée à la dramaturgie en trois actes des longs métrages cinéma, s’est assurée d’avoir deux regards de professionnels sur son travail d’écriture. En janvier 2015, ils embauchent un 5e larron, Fred Castadot, davantage rompu à l’exercice scénaristique.
En immersion
Avant même d’envoyer leurs acteurs (Stéphanie Blanchoud et Jean-Jacques Rausin) se former auprès de la cellule de Charleroi afin d’assurer leur savoir-faire policier, les scénaristes ont mené de nombreuses recherches en amont : chasse, vie monacale, médecine légale,…
Après avoir visité les abbayes cistercienne et trappiste du pays, c’est finalement une petite abbaye bénédictine « très moderne et post-soixante-huitarde » qui accueille les 4 scénaristes et le coréalisateur Gary Seghers afin de confronter leur vision fictive à la réalité d’une communauté. « On y a séjourné trois jours et on a promis de ne pas révéler leur nom », précise Matthieu Frances, également co-réalisateur de la série (photo du haut).
En atelier
Travailler à cinq auteurs permet, forcément, d’aller plus vite et d’accroître sa force de frappe mais cela exige aussi une méthode efficace. « On travaille le plus longtemps possible à cinq, sur les tous les épisodes, afin de confronter nos idées et de garder les meilleures. Ensuite, chaque scénariste s’empare de deux épisodes pour la construction des scènes, en détail, en fonction des accointances de chacun avec certaines thématiques. Travail relu et réanalysé par tous, au final » expliquent-ils en choeur.
En salle
Prolongeant « la bonne idée de l’équipe de La Trêve« de vivre l’événement en salle, parallèlement à la diffusion des différents épisodes de la série sur la RTBF, l’équipe d’Ennemi Public a choisi de nouer un partenariat avec le complexe bruxellois UGC Toison d’Or qui lui prête un écran les 5 dimanches de mai pour une projection dès 19h. « Afin de toucher un autre public mais aussi de le rencontrer. »
« On constate que les exploitants de cinéma sont très intéressés par les séries belges », souligne Antoine Bours.
« Cela prouve qu’il y a une place à prendre dans le cinéma de fiction long métrage avec ce genre d’esthétique, ce genre de scénario et d‘histoire qui pourrait tout à fait être décliné en longs métrages voire même en série de longs métrages et que les exploitants de salle seraient très preneurs de cela. Ce n’est un secret pour personne que le cinéma d’auteur wallon fonctionne mal en salle. Du coup, ce genre d’histoires les intéresse », poursuit Matthieu Frances.
« C‘est une démarche que les Flamands ont déjà développée : avant même de faire une série, ils l’annoncent en réalisant un long métrage qui est en fait le début de la série et qu’ils présentent en salle. Et puis, il faut préciser que la copie proposée, qualité 4K, est faite pour le cinéma, donc il y a une vraie plus-value à la découvrir sur grand écran », complète Gilles de Voghel.
En comparaison
« On a une angoisse depuis le début à cause de cette proximité thématique, reconnaît Matthieu Frances. C’est troublant » même si c’est surtout révélateur d‘une nouvelle génération d’auteurs.
« On a cette pression-là parce que les deux séries sont du polar et qu’on aurait aimé passer plus tard dans l’année, pour qu’il y ait moins de comparaisons et avoir plus de temps pour parfaire la production. Mais impossible de reculer plus puisqu’en juin, il y a l’Euro en télévision et on aurait été grillé comme des saucisses sur un barbecue. Donc nous voilà, mais on se portera bien mieux le 2 mai, lorsque les premières audiences seront tombées et que le public aura pu se faire sa propre idée. »
« Les gens vont faire des comparaisons au premier épisode, c’est inévitable vu le contexte et le type d’histoire mais ensuite ils verront qu’ils sont confrontés à deux séries très différentes : le ton, le type d’enquête,… » précise Antoine Bours
En musique (chef d’orchestre)
Outre les textes et les images, Matthieu Frances signe aussi une bonne partie de la musique de la série Ennemi Public.
« Ce n’est pas un choix délibéré ou de la mégalomanie, c’est un concours de circonstances et une question de budget aussi. On a engagé Daniel Capeletti, un compositeur et musicien classique incroyablement talentueux, mais il est arrivé beaucoup trop tôt sur le projet. Il a fait des musiques magnifiques, avec le Quatuor Tana, qui ne pouvaient pas couvrir plus de 10 % de la palette nécessaire et on ne pouvait pas le savoir à ce moment-là car on était toujours en train d’écrire. Comme on l’a découvert trop tard, j’ai pris du temps pour composer le reste car j’ai fait beaucoup de musiques de film et de design sonore, et j’adore cela. J’ai essayé de rester proche de ce que Daniel avait imaginé. Il y a malgré tout un contraste parce qu’on a chacun notre style. Ce n’est pas forcément quelque chose que je referais parce que je trouve beaucoup plus riche d’avoir une oreille extérieure, mais c’était une question de budget. »
Réalisateur, scénariste et producteur, Matthieu Frances porte le titre de productieur artistique, traduction du terme américain «showrunner». « Je suis l’ambassadeur de notre pool d’auteurs afin que notre vision du projet et de l’entreprise Ennemi Public soit bien respectée. Depuis les premières lignes du scénario jusqu’à la fin de la diffusion, en passant par le choix des décors, de la palette graphique ou le look des affiches et des slogans », résume-t-il. Vaste programme.
Entretiens: Karin Tshidimba
mise à jour (02/05): Avec 445 786 curieux et 26,5% de PDM Ennemi Public a pris sans conteste la tête des audiences dimanche soir sur La Une. Le 2e épisode a été suivi par 411 275 fidèles, soit 29% de PDM. La moyenne est donc de 429 697 téléspecateurs et 27,6% sur les deux épisodes.
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