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paul abbott 1.jpgMultiprimé aux Baftas (fameuses récompenses de la télévision britannique), le scénariste Paul Abbott ne fait pas mystère de sa bipolarité.
Il a d’ailleurs fait de cette particularité une force au service de son écriture.
Après son Shameless, braillarde tragicomédie familiale qui s’est exportée jusqu’aux Etats-Unis et son State of play, brillant thriller politique, il réinvestit la série policière avec No offence**, version détonante et « mal élevée » à découvrir ce lundi à 20h55 sur France 2.

Un environnement populaire, bruyant et miteux, des personnages hors normes, un ton cru et imagé: Paul Abbott a longtemps été considéré comme LE scénariste des classes populaires jusqu’à ce qu’il adresse un pied de nez à ses détracteurs avec son thriller politique « State of play » se déroulant dans les hautes sphères londoniennes. Avec No Offence, il revient à ses premières amours, dans une version anarchique et grinçante, et réinvente encore le « cop show » – déjà abordé dans Crackers (1993) et Touching Evil (1997).
Invité du dernier Festival de la fiction de La Rochelle, le scénariste lunaire a accepté d’y décrypter sa méthode de travail.

Dans le plus grand secret

no offence 4.jpg« Je voulais trouver une autre approche, plus rafraîchissante qu’un banal ‘procedural’. Le titre ‘No Offence’ est là pour préparer le public à ce qu’il va voir : une réalité dérangeante. Je suis revenu à la série policière pour emmener le public vers un style mêlant comédie et drame, tout en montrant des gens qui connaissent bien leur boulot. »

Au départ, la chaîne était très inquiète par rapport à ce projet d’enquête impliquant des personnes handicapées, reconnaît Paul Abbott. « Les associations qui s’occupent de personnes trisomiques ont été très bienveillantes vis-à-vis de la série. Mais le projet a été développé dans le plus grand secret. Channel 4, c’est le service public mais ils sont financés par la pub, ce sont vraiment des pionniers. On n’a donc pas été proposer ce projet ailleurs, c’était notre premier et unique choix.« 

« On a vraiment exploré tous les aspects du sujet pour livrer ce que nous avions annoncé au départ. Certains avaient peur que cela soit vulgaire mais finalement, ils ont trouvé cela très drôle. L’humour est ce qui permet de dissoudre les difficultés. Si une scène est très dure, je prépare quelque chose de drôle ou de décalé pour la suivante. Nous avions la volonté d’avoir recours à des gags pour faire rire ou secouer, mais aussi pour montrer la réalité autrement. »

Une large part autobiographique

Sa précédente série Shameless, pleine de cris, de beuveries, de démission parentale et de fureur, est largement autobiographique.

shameless UK.jpg« Je viens d’une famille nombreuse (Paul Abbott est le 7e sur 8 enfants, NdlR) donc j’aime le chaos et l’action. Ensuite, je repasse pour remettre un peu d’ordre. J’aime travailler comme cela, c’est mon ADN. Le fait d’être fracassé, cela permet d’avoir un grand ouvrage de références à disposition pour écrire sur les extrêmes. J’aime penser qu’une partie de mon vécu se retrouve dans mes séries. Si on veut se débarrasser de certains événements compliqués, on peut en réchapper par l’écriture ou par la psychiatrie. Mon vécu est la protéine qui nourrit mon écriture. Ma bipolarité influence mon écriture, cela aiguise votre sens de la fiction. C’est la raison pour laquelle je suis devenu scénariste. Il y avait trop de voix dans ma tête dont je ne pouvais me débarrasser. Maintenant, on me paie pour les entendre. » Il sourit.

« Si on ne montre que des belles choses, on ment au public. Il faut montrer l’essence de ce qu’on ressent afin de ne pas insulter l’intelligence des gens. » Une démarche qui témoigne aussi d’un certain courage. « Vous ne pouvez pas être courageux, si vous ne vous sentez pas en danger », souligne-t-il.
Paul Abbott a écrit l’histoire  principale de No Offence (l’enquête sur les jeunes trisomiques disparues) ainsi que le premier et le dernier épisodes, les autres épisodes ont été attribués à ses coscénaristes.
« Je n’aime pas me laisser marcher sur les pieds, précise-t-il, mais les discussions rendent les scénarios meilleurs. Si nous sommes 3 sur 5 à ne pas aimer une scène, alors on la change. »

no offence 5.jpgIl y a eu vingt auditions pour le rôle de « Viv ». « On a vu quelques sexy latinos, plaisante-t-il, mais une fois qu’on avait vu Joanna Scanlan sur Skype, on a su qu’elle était parfaite, que le rôle était pour elle. On voulait montrer son côté humain à côté du fait qu’elle soit si impressionnante. »
« Il y a toujours beaucoup de personnages féminins dans mes séries mais vous feriez mieux de demander aux autres pourquoi ils n’en prévoient pas davantage. Si vous êtes honnêtes, vous essayez d’écrire aussi bien sur les hommes, les femmes et les enfants. Si les seconds rôles sont mal écrits, cela peut gâcher toute la série. Il faut voir ce qu’ils apportent comme dignité au récit et aux personnages. C’est cela qui est déterminant. »

Une philosophie que Paul Abbott va continuer à appliquer à ses nouveaux projets : les saisons 2 de State of Play et No Offence.

Entretien à La Rochelle: KT

nb: Paul Abbott a trois Baftas à son actif : Crackers (1995) , Clocking of (2001) et Shameless (2005)