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southcliffe.jpgDeux coups de feu à l’aube dans une campagne embrumée et quasi endormie. Une septuagénaire, sortie «trop tôt», s’écroule dans son jardin de poche.
Au loin, une ombre s’avance, vêtements militaires, visage tuméfié, arme à la main, le tireur vient achever son oeuvre, de façon systématique, sans affect. Aucune des personnes qui croiseront sa route ce matin-là n’en sortira indemne.

La théorie du tireur isolé, fou, dépressif ou maniaque, l’actualité semble ne jamais devoir cesser de nous la resservir: Etats-Unis, Suède, Belgique, Israël… Partout, le même scénario ou presque. Pourtant on ne s’habitue pas au pire. Explorant les réactions des habitants d’une petite ville banale, avant, pendant et après le drame, Tony Grisoni («The red riding trilogy») offre une réflexion brûlante sur l’absence et le deuil. Southcliffe*** est un drame implacable à tous points de vue, d’autant que demeurent, au départ, inconnues les raisons, l’élément déclencheur de cette fusillade.

«Southcliffe est un petit bourg sans histoire typiquement anglais, une communauté soudée et respectueuse des lois. Des braves gens qui incarnent l’Angleterre de carte postale telle qu’on la décrit à la télé. Dans mon souvenir, ça l’était, s’émeut le journaliste David Whitehead (Rory Kinnear), de retour (forcé) dans sa ville natale. Mais ce n’est pas ce que je vois maintenant.»

southcliffe 1.jpgSur ce décalage entre réalité et frictions ou lâchetés quotidiennes, sur ces petits «riens» qui minent les couples, les familles, les voisins, Tony Grisoni a bâti un drame complexe. Une construction à la fois déstructurée et concentrique qui mêle flash-backs et échappées latérales comme si l’histoire, tout en s’étoffant et en s’épaississant, nous ramenait toujours au même point: la vie de cette petite ville dont l’apparente tranquillité a à jamais volé en éclats le 2 novembre 2011.

Du quotidien du tireur Stephen Morton (l’impressionnant Sean Harris) – ancien militaire obsédé et solitaire – à celui de ses victimes, Tony Grisoni tisse une toile scénaristique d’autant plus serrée et dense qu’elle ne va pas tarder à voler en éclats. Brisant, du même coup, l’insidieuse harmonie de façade.

On l’a encore vu récemment avec Broadchurch – et les Britanniques l’ont compris depuis des lustres: le but d’une série n’est pas simplement de divertir. Certaines cherchent délibérément à porter le fer dans la plaie, à interroger notre rapport au monde et aux êtres vivants. C’était le cas de Skins et d’Utopia. C’est le postulat de «Southcliffe» qui, en quelques secondes à peine, installe une sensation de brume durable dont le téléspectateur ne sait pas forcément comment s’extirper. Le résultat est noir, très noir. Si bien que durant toute sa diffusion, Channel 4 s’était employée à proposer du soutien aux téléspectateurs qui en auraient besoin.

On pourra hésiter à entamer ce chemin de croix qui se révèle pourtant éclairant sur les blessures et les fondements de la nature humaine. Volontairement exempte de toutes références politiques ou sociétales, Southcliffe fait étrangement écho à notre époque pleine de fureurs et de larmes.
KT

Southcliffe, Bafta 2014 du meilleur acteur pour Sean Harris et Prix du public au Festival Séries Mania 2014 est disponible en coffret DVD aux Editions Montparnasse, 1 DVD, 4 épisodes, 15€